L’esplanade du Lamidat de Demsa a accueilli la 3èm édition du Festi Tabaski , le samedi 22 juin 2024 à Gaschiga, dans la région du Nord, département de la Bénoué. Un spectacle haut en couleur, doré par les animations diverses, qui a connu pour point culminant, la très attendue parade équestre d’une Fantasia, venant rehausser toute la symbolique derrière l’évènement culturel.
La Fantasia, également connue sous le nom de “Tbourida” dans certaines régions, est une tradition équestre originaire d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Elle est caractérisée par la parade de Chevaux appartenant au Lamidat, mais également une démonstration de la coordination des mouvements des cavaliers, pour marquer l’unité dans la chefferie traditionnelle. Cette célébration culturelle reflète la fierté d’appartenir à un peuple qui a marqué de sa présence par la conquête de nouveaux territoires à travers les âges.
Sa Majesté Aboubakar Moustapha, Lamido de Demsa, 12 ans de règne, à l’occasion du Festi Tabaski 2024.
Un symbole marquant l’héritage historique de la région, dont les récits remontent au début du XIXe siècle. La chefferie a été fondée vers 1830 par les Peuhls du clan Wolarbé, dont l’aïeul Ardo Hamma Yero s’est établi initialement à Demsa avant de transférer sa capitale à Gaschiga. La lignée actuelle en place, y est présente depuis près d’ un siècle, est celle du Lamido Ousmanou. Ce lamidat couvre une superficie de 1771 km², limité à l’ouest par la frontière avec le Nigéria, au nord par le lamidat de Bashéo, à l’est par le lamidat de Garoua et au sud par la Bénoué. Mais de par la volonté d’inclusion sociale, les évènements comme celui de ce 22 juin 2024, affirment une politique d’expansion des frontières sociales pour embrasser le changement, et le brassage multi-ethnique.
Différents dignitaires de la cours royale du Lamidat de Demsa, accompagnant l’arrivée du Lamido.
C’est ce qu’il est ressorti du programme des activités menées à l’occasion de ce Festi Tabaski 2024. La présence du Préfet du département de la Bénoué, ainsi que des autorités administratives, académiques, traditionnelles et religieuses, sans oublier les opérateurs économiques et sympathisants ! La mobilisation était telle que la présence de plusieurs ethnies présentes dans la localité, a été significative. Ainsi plusieurs ressortissants ont répondu présents : les tribus principales étant les Fali, Bata et Peuhls. On a également retrouvé les Haussa, Laka, Guiziga, Toupouri, Mafa et bien d’autres ethnies.
Groupe de danse « Fali ngoutchoumi » s’apprêtant à esquisser des pas.
Ce brassage culturel est d’autant plus important quand on a en mémoire les tragiques évènements qui ont alimenté l’actualité en décembre 2021, dans la région voisine. A titre de rappel, les affrontements intercommunautaires dans l’Extrême-Nord du Cameroun ont créé une situation d’urgence humanitaire notoire, au moins 100 000 personnes ont été chassées de leurs foyers. A l’époque, l’agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR) estimait que plus de 85.000 Camerounais ont fui vers le Tchad voisin, tandis qu’au moins 15.000 Camerounais ont été contraints de quitter leur foyer à l’intérieur de leur pays. « L’accès humanitaire dans la région étant très limité, leur nombre réel pourrait être bien plus élevé », a déclaré lors d’un point de presse régulier de l’ONU à Genève, Matthew Saltmarsh, porte-parole du HCR. Des violences ayant opposé des éleveurs, des pêcheurs et des agriculteurs, qui ont été déclenchées par des différends liés à la raréfaction des ressources en eau. Les autorités locales ont signalé des morts et des blessés graves.
Des groupes folkloriques orchestrés par les ressortissants du département du Noun, à l’Ouest; ou encore les exécutants de la danse « Mbu » originaire du Nord-Ouest, ont honoré de leur présence.
Notons que la région était confrontée à des défis complexes, notamment liés au climat et à la compétition pour l’usage équitable des ressources naturelles en présence. Il est bien de s’en rappeler pour éviter que les évènements pareils se répliquent dans la région voisine qu’est le Nord. Les causes profondes de ces affrontements intercommunautaires sont complexes et multifactorielles. En examinant quelques-unes des principales raisons : 1°Compétition pour les ressources : La région est confrontée à une forte pression sur les ressources naturelles telles que l’eau, les terres agricoles et les pâturages. Les éleveurs, les agriculteurs et les pêcheurs se disputent ces ressources limitées, ce qui peut entraîner des conflits. 2° Tensions ethniques et culturelles : Les groupes ethniques et culturels de la région ont des différences historiques, linguistiques et religieuses. Ces différences peuvent alimenter les tensions et les rivalités entre les communautés. 3° Insécurité et présence de groupes armés : la région de l’Extrême-Nord étant touchée par l’insécurité due à la présence de groupes armés tels que Boko Haram. Ces groupes exploitent les divisions ethniques et religieuses pour recruter des membres et semer la violence. 4° Pauvreté et manque d’opportunités économiques : la pauvreté et le manque d’opportunités économiques peuvent aggraver les tensions. Les jeunes sans emploi peuvent être plus enclins à rejoindre des groupes violents. 5° Faiblesse des institutions et de la gouvernance : l’absence de mécanismes de résolution des conflits efficaces peut exacerber les tensions.
Parade des dignitaires de la cours , Le Lamido de Demsa, a tenu à préciser : » le Festi Tabaski c’est l’occasion de véhiculer un message de vivre-ensemble, d’intégration culturelle et nationale, de cohésion sociale et de paix « .
Le Lamidat de Demsa, à travers l’organisation du Festi Tabaski, rappelle la nécessité de reconnaître que les causes des conflits sont interconnectées et qu’une approche holistique est nécessaire pour résoudre ces conflits et promouvoir la paix dans la région .Ceci est d’autant plus urgent que davantage de brassage culturel sera instauré dans la localité, avec la présence à proximité du site qui va accueillir l’Université de Garoua, en cours de construction. Une initiative qui vise à former les jeunes et les adultes, pour aider à réduire la pauvreté et à offrir de meilleures opportunités économiques au grand nombre. Sans oublier de mentionner le fait que cet évènement culturel fait la promotion des programmes de développement agricole et d’élevage. Encouragés à bon escient pour augmenter la productivité et améliorer la sécurité alimentaire, aux fins de réduire la pression de la compétition pour les ressources naturelles.
Ange ATALA