Le RADD accompagne les communautés riveraines, victimes des abus causés par la SOCAPALM

C’est depuis 2016 que le Réseau des Acteurs du Développement Durable  (RADD) soutient les communautés des villages Apouh à Ngog, Dehane, Ongue et Koukohe, dans leur lutte pour la reconnaissance de leurs droits humains piétinés par la multinationale qui occupe leur héritage foncier. Une Nième enquête entamée en mai 2024, et achevée en septembre 2024 dresse un rapport de la cartographie des abus décriés, qui a été produit et rendue publique, faisant l’objet de la  rencontre qui s’est tenue ce 25 septembre 2024 à la conférence épiscopale de Mvolye à Yaoundé.

L’enquête a plutôt été bien accueillie par les populations des villages cités, avec un taux de participation maximal, 93% des personnes affirment que « la situation est très mauvaise depuis l’arrivée de la SOCAPALM » selon le rapport porté à l’attention du public ce jour. La Société Camerounaise de Palmeraies (SOCAPALM), cette filiale du groupe Socfin, contrôlée par le groupe français Bolloré et la famille luxembourgeoise Hubert Fabri, détient près de 60 000 hectares de terres au Cameroun. Les habitants font état d’une situation d’accaparement de terres à peine voilée, sous la barbe des membres de l’autorité traditionnelle impuissante, complice malgré elle du joug subit par leur communauté. Des statistiques qui, au-delà de la valeur numérique,  décrivent la triste réalité que vit une population sous le joug d’un « géant de l’agroalimentaire au Cameroun».

Présent à l’atelier, les chefs des villages Dehane, Ongue et Koukouhe, ont porté haut les doléances auprès des autorités compétentes, mais jusqu’à présent leurs cris à l’aide sont restés sans suite favorable. Mme Ngon Bissou Félicité, Présidente de l’Association des Femmes Riveraines de la SOCAPALM à Edea (AFRISE) ne sait  plus où donner de la tête, elle qui s’est vu plusieurs fois donner la possibilité de « se faire acheter par les dirigeants de la SOCAPALM » pour arrêter ses activités de dénonciation des abus.  Elle  nous en a donné les raisons : « je suis une fille, épouse, et mère du village Apouh à Ngog, je n’ai plus de terre où cultiver le manioc pour nourrir les miens, je n’ai pas non plus d’argent pour aller acheter les produits de première nécessité au marché, comment je vais accepter de faire acheter mon silence par quelques petits billets, alors que ma nature de femme ne me permet plus de nourrir ma famille ?».

Fort d’une superficie totale de 13 790 hectares, le village Apouh à Ngog qui signifie littéralement « surface de pierre », est le plus grand village dans les environs en termes de superficie. Et bien que la situation géographique et le relief de ce village ne lui permettent d’avoir qu’un petit espace cultivable, 5966 hectares sont occupés par les palmiers à huile de la  SOCAPALM, tandis que 5485 hectares restants sont occupés par des massifs rocheux dont il tire son nom (soit 11451 hectares occupés). Il ne reste que 2339 hectares pour les habitations et les petites cultures, à peine exploitables pour les besoins d’une population sans cesse croissante, qui se retrouve emprisonnée sous l’ombrage d’une monoculture qui les étouffe.

Pourtant, c’est l’occasion de rappeler que le Cameroun a adhéré à la Résolution 26/9 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, qui vise à élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer les activités des sociétés transnationales et autres entreprises en matière de droits de l’homme. Le décret N°2022/3074/PM du 4 juillet 2022 renforce cet engagement en intégrant ces principes dans le cadre juridique national. Ce décret permet de mieux encadrer les activités des multinationales et de protéger les droits des populations locales contre les abus potentiels. Il prévoit des mécanismes de surveillance et de sanction pour garantir que les entreprises respectent les normes internationales en matière de droits de l’homme. Présents à l’atelier, les sectoriels d’administration, MINAS (Ministère des Affaires Sociales),  MINDCAF (Ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières), OSC locales, ainsi que les institutions telle que la Commission des Droits de l’Homme du Cameroun (CDHC) ; ont proposé des collaborations pour travailler en synergie  d’action, entamée par le RADD. Des recommandations bien accueillies par la Secrétaire Exécutive du RADD, en la personne de Mme. Marie Crescence NGOBO.

Les entreprises multinationales qui ne respectent pas les droits de l’homme au Cameroun peuvent faire face à plusieurs types de sanctions : sanctions financières, suspension ou retrait de licences, poursuites judiciaires, embargos et restrictions commerciales, interdiction de voyage et gel des avoirs. L’accès à la terre est souvent considéré comme un droit fondamental, surtout dans le contexte des droits de l’homme. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) : « la terre est essentielle pour la réalisation de nombreux droits de l’homme, notamment les droits économiques, sociaux et culturels. La terre est une source de revenus pour beaucoup et joue un rôle central dans la réduction de la pauvreté, la consolidation de la paix, et le développement durable. De plus, l’accès à la terre est crucial pour les populations rurales et les petits exploitants agricoles, car il leur permet de subvenir à leurs besoins et de développer leurs communautés ».

Dans son rapport développement durable produit en 2023, à la page 24,  la SOCAPALM affirme : « se conforme toujours prioritairement aux exigences légales et règlementaires dans l’exercice de ses activités. Le service juridique de la Socapalm est en charge de ce contrôle. Afin de veiller au suivi de ses conformités légales, la Socapalm tient à jour un registre des lois applicables et son statut de conformité ». Vérification faite, cette enquête menée par le RADD fait état de ce que «  la pollution des cours d’eau, a mis en danger la santé de plus d’un, même les forages aménagés par la SOCAPALM ne produisent pas de l’eau potable, les populations sont obligées de se rendre dans les sources d’eau naturelle, dans des endroits difficiles d’accès, pour avoir une eau de meilleure qualité », nous a confié M. Youmssi Eya, juriste au sein du RADD , en charge de l’enquête auprès des populations des villages cités.

Une tombe ancestrale sur le site sacré de Bayong Mbonjo. Image de Yannick Kenné pour Mongabay.

Une situation qui met en péril la paix et la stabilité dans la zone, les conflits entre la SOCAPALM et les populations s’intensifient, en plus de se faire déposséder leurs terres, les riverains voient leur environnement se dégrader, et leur santé mis en péril. Un article paru dans https://www.business-humanrights.org/ en août 2024 fait ce constat : « les tensions montent à Apouh à Ngog, une localité du district d’Edéa 1, où les habitants, principalement les femmes, sont en révolte contre les opérations de replantation de palmiers à huile par la Socapalm. Depuis le 8 août 2024, la Socapalm a intensifié ses efforts de replantation, envahissant les espaces vitaux des communautés locales, notamment les arrière-cours, les devantures des maisons et même les tombes ». Tout le monde a salué l’essor de la SOCAPALM en 2015, lorsque cette société a produit pour la première fois plus de 100 000 tonnes d’huile de palme, un bon contributeur au projet de développement du Cameroun. D’ailleurs, ce pourvoyeur d’emploi de l’Etat camerounais, recrute  8 369 employés toute main d’œuvre confondue, pour un chiffre d’affaires qui s’est établi à 84 620 196 K FCFA soit 129 003 K Euros en 2023. Il est également celui qui contribue à mettre à la disposition 40% de l’huile de palme consommée au Cameroun. Mais il serait sage de repenser le traitement que la SOCAPALM réserve aux populations des villages riverains de leurs plantations, afin de garantir le respect des droits humains fondamentaux auxquels, les 17 ODD  interpellent pour une gouvernance responsable.

Ange ATALA