Le Festival de Cannes rythme chaque année au mois de Mai le paysage cinématographique français. Tapis rouge, paillettes, stars internationales, soirées VIP et bien évidemment programmation mettant à l’honneur les derniers films remarquables. Mais si le cinéma fait rêver, il reste un secteur très polluant malgré quelques belles initiatives. Décryptage d’une réalité que l’industrie cinématographique préfèrerait laisser sous le tapis (rouge).
Le cinéma : une industrie très polluante
Alors que de nombreuses stars de cinéma comme Leonardo Di Caprio, Julia Roberts, Robert Redford, Mélanie Laurent ou encore Marion Cotillard sont engagées pour dans la défense de l’environnement, conférant au milieu cinématographique une image relativement verte, la réalité est plus nuancée.
« Par ailleurs, le cinéma est une industrie » disait Malraux dans un article paru dans la revue Verve en 1940. En effet, le cinéma est un domaine industriel. Mais compte-tenu de sa nature au croisement entre art et industrie, l’impact environnemental d’un film est souvent relégué au second plan, au profit de la création artistique.
Sauf que les tournages polluent, et plutôt beaucoup : ces derniers constituent un quart de la quantité totale d’émissions de CO2 produits par l’industrie du cinéma.
Qui dit tournage dit tout d’abord construction des décors, souvent détruits par la suite, ce qui constitue un gaspillage notable. Ensuite, il y a la consommation d’électricité. Sachant que la luminosité est un élément essentiel, même en plein jour, il est nécessaire de l’ajuster par des sources de lumière multiples fréquemment branchées sur des groupes électrogènes. Puis vient le transport des équipes et des décors, ou encore les déchets produits pour nourrir tout le monde. Sans parler du fait que le tournage peut aussi impacter le lieu sur lequel il se déroule.
Les cinéphiles ont ainsi peut être en mémoire la scène d’ouverture d’Apocalypse Now dans laquelle sur fond de The End des Doors une forêt de palmiers part en fumée. Pas d’effets spéciaux pour réaliser cette scène : la production a utilisé pas moins de 4 500 litres d’essence pour incendier la forêt, en y ajoutant quelques pneus … Histoire qu’il y ait plus de fumée, évidemment.
Dans le même genre, dans The Expendables 2, après une mission de sauvetage, les Expendables se retrouvent à devoir déjouer une menace mortelle pour l’équilibre planétaire *SPOILER* en empêchant l’explosion de plusieurs tonnes de plutonium enfouies dans une mine. Pour l’occasion, la production a réalisé une partie du tournage dans une grotte en Bulgarie, abritant plus de 20 000 chauve-souris. Si les Expendables ont réussi à sauver le monde, ils n’ont pas réussi à sauver les chauve-souris : la moitié de la population n’a pas survécu à ce tournage, ce qui n’a pas manqué de provoquer la colère des associations militant pour la protection animale.
D’après une étude menée par l’université de Californie, dans la seule ville de Los Angeles, l’industrie cinématographique produit 140 000 tonnes d’ozone et de particules diesel par an. Cela en ferait la deuxième industrie la plus polluante de la région, après le pétrole.
De notre côté de l’Atlantique, le secteur dégage selon une étude Ecoprod 1,7 millions de tonnes d’équivalents CO2, soit l’équivalent de la vie quotidienne annuelle de 180 000 français. Une chiffre qui monte à plus de 10 millions de tonnes si l’on ajoute l’empreinte carbone liée à la fabrication des équipements audiovisuels (équipements de tournage mais aussi ceux de la visualisation des films).
Et les effets sur l’environnement ne s’arrêtent pas qu’à la production car une fois le film fini, vient l’étape de sa promotion. A cette occasion, les acteurs sont envoyés partout dans le monde. Puis viennent les étapes de diffusion, distribution et le visionnage par les spectateurs, au cinéma ou à domicile. Cette étape est la plus coûteuse pour la planète. En France, les trajets réalisés par les spectateurs pour aller au cinéma émettraient 350 000 tonnes de CO2 selon le Centre National du Cinéma.
Un domaine qui se responsabilise doucement
Loin du faste du Festival de Cannes et ses 1 200 tonnes de déchets supplémentaires produits en quinze jours, l’industrie cinématographique a donc une belle marge de progression devant elle.
Mais si le secteur a mis du temps à prendre conscience de ses effets, les initiatives pour le rendre plus durable se multiplient. En France, le constat de l’impact environnemental du cinéma a abouti à la constitution du collectif Ecoprod en 2009.
Composé de partenaires de renoms, dont l’ADEME, la DIRECCTE d’Ile-de-France, France Télévisions ou encore TF1, ce collectif a édité plusieurs guides pour aider les réalisateurs et producteurs à initier le changement. Il a d’abord mis en place en 2010 le premier calculateur d’empreinte carbone dédié à la production audiovisuelle : le Carbon’Clap.
Depuis il a édité le guide de l’éco-production, un outil destiné à favoriser la prise en compte des enjeux environnementaux dans les productions cinématographiques. Ce rapport fournit notamment des chiffres sur la quantité de CO2 produite selon la durée du film/de l’émission. Pour ne citer que les plus édifiants :
- Une heure d’émission télévisuelle correspond à 10 tonnes d’équivalents carbone.
- Un épisode d’une série tournée à Paris produit 35 tonnes d’équivalents carbone.
- Une fiction tournée en France produit 200 tonnes d’équivalents carbone.
- Un long métrage multisite rejette 1 000 tonnes d’équivalents carbone.
Il liste également les domaines dans lesquels il est possible d’agir en distinguant la production, la régie, le transport, le studio, la lumière, les moyens techniques, l’habillage et le maquillage, ou encore la post-production. Il liste ensuite différentes initiatives concrètes, parfois très simples (comme recycler les gobelets mis à disposition) à mettre en place tout au long de la production d’un film.
L’idée n’est pas de complexifier les tâches des producteurs, mais de permettre de fixer quelques règles de conduites et de limiter certains impacts, en se servant des guides. Notamment lorsque des grandes maisons de production font appel à des petits sous-traitants, souvent moins attentifs à la question environnementale.
Aux Etats-Unis, quelques initiatives ont également été mises en place, dont Green is Universal. Ce projet mené par Universal vise à développer les pratiques durables sur les tournages, tout en communiquant sur les actions réalisées.
Vers des films plus écologiques ?
Si les difficultés et les obstacles sont nombreux pour responsabiliser le secteur, notamment car il est très atomisé et que le choix artistique prime sur les pratiques durables, les films prenant en compte leur impact environnemental se multiplient. Même parmi les grosses productions.
Ainsi, pour la réalisation de BlacKkKlansman de Spike Lee, l’équipe de production a travaillé pour recycler ce qui pouvait l’être sur les tournages, tandis que la décoration a fait la part belle aux objets de secondes mains notamment pour les tapis. L’éclairage pour sa part a été réalisé avec des LED. Les manteaux utilisés par la production ont été donnés, tout comme les excédents de nourriture (soit près de 600 repas). Ces pratiques ont permis au film de recevoir un Green Seal EMA Awards en 2018 (prix récompensant les films durables aux Etats-Unis).
De même, la production du film Mamma Mia ! Here We Go Again tourné en Croatie et à Londres (et non en Grèce, au risque de décevoir les fans !) a également mis en place des pratiques pour réduire son impact sur l’environnement. Lors de son séjour à Londres, elle a valorisé ses déchets en les recyclant et les compostant. De la sorte, 99 % des déchets produits ont été ré-acheminés. De plus, pour réduire les émissions de carbone, les chauffages ont été alimentés avec du biodiesel, fabriquée à partir d’huile de cuisson usée.
La palme du mauvais élève revient par contre au dernier James Bond qui sortira l’année prochaine et verra Daniel Craig incarner le héros créé par Ian Fleming pour la dernière fois. Après des remous suite au changement de réalisateur, ce nouvel opus du célèbre espion britannique s’attire désormais les foudres des militants écologistes norvégiens.
En effet, tourné dans le comté d’Akershus, en Norvège, une région boisée soumise à une stricte législation pour limiter la circulation, la production y fait rouler de nombreux véhicules et y a construit des bâtiments… Dont l’un doit exploser durant le tournage. Cela pourrait fortement perturber la faune et la flore, habitués à la tranquillité. Qui plus est, alors qu’aucune construction n’est en théorie autorisée dans les zones forestières, le film a obtenu un accord des autorités locales, ravivant la colère des militants norvégiens.
Les autorités ont beau avoir affirmé que le tournage ne laissera aucune marque dans le paysage, les aventures du plus célèbre des agents secrets montrent l’ampleur des progrès qui restent à faire. Et ce, même si James Bond roule une Aston Martin 100 % électrique et boit du champagne certifié à haute valeur environnementale.
Pour l’heure, le cinéma reste donc une industrie très polluante. Cependant, certains films malgré leur impact environnemental font des efforts ou participent à sensibiliser l’opinion publique à la protection de l’environnement. Si la marge de manoeuvre reste importante, on ne peut que saluer les actions conjointes des stars et réalisateurs engagés, tout en espérant que les pratiques durables poursuivent leur développement.
Auteur : Tankoua Nyamsi
Cinéma et environnement : la pollution derrière les paillettes
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