« Nous avons adopté définitivement la loi sur la restauration de la nature telle qu’issue des négociations avec le Conseil par 329 voix pour, 274 voix contre et 24 abstentions. Après des mois de travail, nous pouvons être fiers d’avoir, pour la première fois en Europe, une loi qui organise la gouvernance de la restauration de la nature et nous met en conformité avec les engagements internationaux pris dans le cadre de l’accord de Kunming-Montréal. Avec ce texte, c’est la jambe biodiversité du Green Deal qui se structure, complétant la jambe climat que nous avons adoptée l’année dernière. »
Ainsi s’est exprimé Pascal Canfin, Député européen et Président de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, sur la liste Renaissance de La République en marche, nous vous livrons la substance. Il y avait urgence à agir : en Europe la quasi-totalité de nos écosystèmes (81%) sont en mauvais état, un tiers des espèces de pollinisateurs sont en déclin, nos forêts font de plus en plus face aux conséquences du changement climatique et aux attaques de ravageurs, l’artificialisation des sols catalyse les épisodes d’inondation notamment dans le Nord de la France et l’Ouest de l’Allemagne, l’érosion cause la perte de 3 millions de tonnes de blé et de 600 000 tonnes de maïs chaque année en Europe[1]… Une biodiversité en bon état signifie aussi un accès à de l’eau salubre, à des terres agricoles fertiles, à des forêts en bonne santé qui peuvent réguler le climat, etc. Ce sont des éléments nécessaires au maintien des activités humaines et économiques : la Banque centrale européenne indiquait en juillet dernier que notre économie ne pourrait pas continuer à prospérer sans une nature en bonne santé, car 75% des prêts bancaires sont octroyés à des entreprises qui dépendent au moins d’un service écosystémique pour fonctionner[2]! Pour la production agricole en particulier, l’affaiblissement de la biodiversité et de la santé des sols aggravés par le changement climatique, a des effets dramatiques, déjà visibles en Europe : des zones aussi importantes que la plaine du Pô en Italie ou le plateau de la Beauce en France, des zones très productives, voient leur rendement agricole plafonner voire baisser depuis plusieurs années, ou encore en Espagne où le risque de désertification est désormais manifeste en Catalogne et en Andalousie. Dès lors la protection et la restauration de la biodiversité sont des objectifs qui s’inscrivent intégralement dans l’agenda de résilience et de souveraineté que nous portons.
Les négociations de ce texte n’ont pas été un long fleuve tranquille. Nous avons dû batailler dur pour lui trouver une majorité parlementaire, au prix de plusieurs concessions mais en sauvegardant l’essentiel, à savoir le principe même d’une gouvernance de la restauration de la nature en Europe. Et nous avons dû batailler dur également contre un flot inédit de fake news en provenance de l’extrême droite et d’une partie du PPE qui ont préféré dépeindre avec obstination un texte « décroissant » plutôt que d’entrer dans le débat et la négociation comme nous l’avons fait, et comme une partie du reste de la droite européenne l’a fait (près d’un quart des collègues du PPE ont en effet voté finalement ce texte).
Voici les éléments concrets de cette loi mais aussi les réponses que l’on peut apporter aux nombreuses fake news l’entourant :
- 20% de l’entièreté du territoire européen devra faire l’objet de mesure de restauration de la nature en 2030, ce qui alignera l’Europe avec ses engagements pris lors de l’accord de Kunming-Montréal.
- la gouvernance de la restauration de la nature pour les prochaines décennies est désormais assurée, notamment pour gérer l’interconnexion de ce sujet avec, par exemple, la politique du logement, de la gestion des feux de forêts, la politique agricole commune, le déploiement des énergies renouvelables, etc. et donc répondre aux injonctions contradictoires qui peuvent exister et qui aujourd’hui ne sont pas bien traitées. Chaque État devra ainsi réaliser un plan de restauration, évalué par la Commission, qui traduira les objectifs quantitatifs de restauration et les objectifs qualitatifs de bon états des écosystèmes naturels (marais, forêts, zones humides, dunes, espèces protégées…) en 2030, 2040 et 2050.
- 30% de chaque écosystème couvert par la directive habitat devra faire l’objet de mesures de restauration en 2030, 60% en 2040 et 90% en 2050. Un tel calendrier n’existait pas jusqu’au présent dans le droit européen. Ces objectifs pourront être adaptés pour tenir compte de certaines spécificités nationales, par exemple pour les pays comme la Finlande où un type spécifique d’écosystèmes forestiers est très présent comparativement aux autres, ce qui y rendrait une application uniforme de ce règlement difficile.
- Lorsque des dégradations d’écosystème sont inévitables (ex : construction de logement sociaux dans des pays à haute densité de population), elles devront être compensées par des mesures de restaurations équivalentes (une zone humide dégradée devra donner lieu à une mesure de restauration équivalente d’une autre zone humide et non d’une parcelle forestière, ce qui ne ferait pas sens). Point crucial de la négociation, les obligations de résultats en matière de non dégradation des écosystèmes couverts par le règlement sont devenus des obligations de moyens.
- Comme pour le reste du texte, les obligations sur les terres agricoles sont désormais des obligations de moyens pour les États, et non des obligations de résultats pour les agriculteurs. Haies, pollinisateurs, agroforesterie, etc. devront augmenter progressivement sur ces terres au niveau national. Il n’y a pas d’objectif de « gel » de 10% des terres agricoles européennes, tous les éléments du texte qui concernaient les 10 % des terres avec éléments de paysage ont été supprimés.
Il est important de revenir précisément sur ce point qui a nourri de nombreuses analyses erronées, à dessein ou non. Avec cette législation, il ne s’agit pas de mettre une partie du territoire européen sous cloche, mais d’y réaliser des actions qui permettent à la biodiversité d’être sur une pente au minimum positive. Parfois il peut s’agir de mesure de conservation stricte sans activité humaine (forêt primaire, zone de protection forte dans les aires marines protégées), parfois il peut s’agir de (re)mettre en place des infrastructures de paysage sur les terres agricoles comme des haies, des arbres ou des mares qui vont à la fois faire revenir de la biodiversité et assurer les rendements agricoles en luttant par exemple contre l’érosion des sols. Il est important de noter que chacune de ces infrastructures paysagères est pondérée différemment (1m² de haies vaut plus que 1m² de jachère). Autrement dit, l’attaque de LR qui dit que 10% de nos espaces agricoles ne pourront plus produire d’alimentation est complétement faux.
Au contraire, avec ces éléments de paysage, il s’agit d’assurer aux écosystèmes agricoles leurs capacités productives, en évitant l’érosion des sols et en faisant revenir la biodiversité sur les terres agricoles. C’est aussi ce que défend le gouvernement français qui a lancé de nombreux appels à projets pour la replantation de haies depuis Julien Denormandie dans le cadre de France 2030, du plan haies et avec la simplification en cours qui va permettre de dépasser les obstacles concrets.
Pour la plus parfaite transparence et compréhension, voici le texte relatif à l’agriculture issu de l’accord et que nous venons de voter.
- Les mesures pour améliorer l’état des forêts devront obligatoirement être prises, notamment en augmentant le nombre d’essences d’arbre présentes en leur sein, leur résilience au changement climatique… Ces obligations devront bien sûr être mise en œuvre en cohérence avec la gestion du risque de feux de forêt.
- 25 000km de rivières devront être reconnectées. Si des petits projets hydrauliques sont nécessaires pour la production d’électricité, ces derniers ne seront pas retirés pour permettre l’expansion du cours d’eau.
- Nous avons mis fin à une incohérence en matière de protection des écosystèmes marins. Aujourd’hui, lorsque la France protège les dauphins dans le golfe de Gascogne, ces mesures ne s’appliquent aux pêcheurs espagnols qui continuent de pêcher dans la zone malgré l’interdiction faite aux pêcheurs français. Demain, les États auront l’obligation de s’entendre sur des mesures communes. À défaut, la Commission européenne pourra imposer des mesures de conservations applicables à tous.
L’adoption de ce texte est une bonne nouvelle pour la protection de la nature et la poursuite du Green Deal. Ces négociations nous alertent cependant : dès lors que les partis politiques acceptent de sortir du cadre des faits qui nous permettent de bâtir les compromis politiques, ils prennent le risque de remettre en cause la méthode communautaire qui n’est rien d’autre que la base de la construction européenne. C’est à cette faiblesse que certains ont succombé lors des négociations de ce texte. Vous pourrez compter sur moi pour ne jamais céder à cette tentation.
Pascal Canfin