Les auteurs : Akere Maimo J. Ano-Ebie et Nsaibirni Warren Lee, ont présenté leur ouvrage au public le 1ier novembre 2024, dans les jardins du musée national du Cameroun, à Yaoundé. Il s’agit d’un recueil de 59 poèmes, qui explorent les thèmes de la guerre, de la paix, de l’injustice et de l’espoir.
L’œuvre littéraire, au-delà des consensus, aborde les complexités de la société et de la gouvernance, en faisant un appel à instaurer un meilleur cadre de vie , qui interpelle les acteurs à plus d’humanité. Le moment était marqué par la présence du chef traditionnel des « Nso », le Fon Sehm Mbinglo II, qui règne sur la communauté depuis 2008. Une longue période de règne dans les temps modernes, qui dénote de la forte influence du personnage sur une communauté divisée par les troubles de la crise dans les régions anglophones du Cameroun. Le Fon est non seulement un chef politique mais aussi une figure spirituelle et culturelle, sa présence en cette cérémonie de sortie de « Kiman » est une marque de considération inestimable pour ce gardien des traditions et des coutumes ancestrales.
Le Fon des Nso recevant son allégeance.
En effet, le Fon joue un rôle clé dans la médiation et la résolution des conflits au sein de la communauté, en s’appuyant sur les traditions et les coutumes pour apporter des solutions équitables. Les Nso vivent principalement dans la région du Nord-Ouest du Cameroun, plus précisément dans le département du Bui. La ville principale de cette communauté est Kumbo, qui sert de centre administratif et culturel pour les Nso. La région est connue pour son relief montagneux et son climat tempéré, ce qui en fait une zone propice à l’agriculture et à l’artisanat. La communauté est connue pour son artisanat, y compris la poterie, la sculpture sur bois, et le tissage. Ceci ressort clairement dans les illustrations exposées à l’occasion de la sortie de « Kiman », dont la signification en langue « Lamnso » n’est pas un terme figé qui traduit la paix, mais plutôt un ensemble de vertus qui contribuent à la paix ( amour, espoir, reconciliation, joie, paix, cohésion sociale, partage…) . Le recueil est divisé en plusieurs parties, chacune traitant de différents aspects de la guerre et de la paix, et mettant en lumière les souffrances humaines causées par les conflits.
Exposition représentant les différentes thématiques abordées dans « Kiman ».
Une guerre qui n’en finit pas de faire des victimes, le cas le plus récent porté à l’attention du public, est celui de l’enlèvement, puis du meurtre de Frida Joko. Le corps sans vie de Frida Joko, 2ièm adjointe au maire de la commune de Bamenda II, a été découvert le 28 octobre 2024 dans le quartier Nchuoboh à Bamenda. Cela faisait suite à son enlèvement survenu le 26 octobre 2024 par des hommes armés non identifiés après qu’elle ait assisté à une projection publique d’un documentaire sur le président Paul Biya. Un incident tragique , qui souligne la nécessité de s’accorder sur les solutions de paix, tant les tensions persistantes et la violence dans les régions anglophones du Cameroun sont devenues monnaie courante.
L’artiste musicien, auteur-compositeur, parolier, Ottou Marcellin, interpretant son titre « Soldat », aux cotés de Akere Maimo; l’un des auteurs de « Kiman ».
» Ce livre nous parle également, car il aborde les aspects qui sont chers à la communauté nigériane vivant au Cameroun, il montre à quel point la guerre est inutile, et combien nous avons besoin de la paix, qui est plutôt un synonyme de force » , ainsi s’est exprimé S.E Godwin C. Ugwu-Ojobe, Chargé d’affaires au Haut-Commissariat du Nigeria au Cameroun, présent à la cérémonie.
Pour cerner au mieux le concept derrière la publication de l’ouvrage « Kiman », nous avons rencontré Akere-Maimo, co-auteur de » KIMAN : Songs of War, Songs of Peace « .
Tribune Verte (TV): La crise dans les zones anglophones sévit depuis 2016, quel est l’élément déclencheur qui vous a poussé à écrire et faire paraître ce recueil de poèmes en 2024 ?
Akere Maimo (AM) : « KIMAN » m’est profondément personnel. Ce travail a nécessité du temps pour mûrir parce qu’il devait capturer toutes les expériences que les Camerounais et les Africains ont endurées au cours de ces années. La publication arrive à point nommé, même si nous regrettons qu’elle n’ait pas été plus utile à la crise à son stade initial ; elle reflète aujourd’hui un appel collectif à la paix qui résonne plus fort que jamais alors que le conflit perdure. Après avoir observé tant de chagrin, de perte et de résilience, 2024 nous a semblé une bonne occasion de donner une voix à ces récits collectifs, d’inspirer le dialogue et de plaider en faveur de la paix et de la réconciliation par le biais de la littérature et de l’art. En outre, KIMAN ne se concentre pas seulement sur la crise anglophone qui a éclaté en 2016 ; il parle également de l’insurrection terroriste de Boko Haram dans l’Extrême-Nord du Cameroun et d’autres conflits auxquels nous sommes confrontés au Cameroun. KIMAN se penche sur les subtilités et les complexités des conflits dans leur ensemble, en commençant par la famille, la communauté et la société, et en s’étendant au monde entier. C’est là notre modeste contribution à l’utilisation de la poésie comme outil de plaidoyer pour prêcher et faire passer le message de la paix et de la réconciliation ! «
Nsaibirni Warren Lee, co-auteur de « Kiman ».
TV: Combien de temps ça vous a pris de collecter tous les éléments de rédaction ?
AM: » La collecte des éléments pour KIMAN a été un voyage de plusieurs années. Les poèmes de ce recueil remontent à l’époque où je faisais mes études secondaires au prestigieux » Sacred Heart College de Mankon « , dans les années 1990. Depuis 2013, j’ai suivi de près diverses crises au Cameroun et dans le monde, et je me suis engagé dans des dialogues communautaires ainsi que dans des efforts de plaidoyer. J’ai recueilli non seulement des faits, mais aussi des expériences vécues, des émotions et des réflexions de la part des personnes touchées. Lorsque j’ai fait part à Nsaibirni Lee de mon projet de co-publication, il y a environ 5 ans, il a été enthousiasmé et nous avons formé une équipe formidable en tant que co-auteurs. Il nous a fallu 2 ans pour mettre en œuvre le véritable projet de livre. Cette anthologie, dont les thèmes sont la guerre, la paix et la guérison, représente un profond réservoir d’histoires collectives et d’observations personnelles accumulées pendant près de 2 décennies. «
Yaah Gladys Shang Viban, Douglas Ashingale, Ashu Nyenty ; pour la critique littéraire de « Kiman ».
TV: aspirez-vous à une reconnaissance internationale de votre œuvre ? Si oui, quel prix souhaitez-vous obtenir ?
AM: » La reconnaissance contribuerait à amplifier le message de KIMAN, mais notre objectif principal est qu’il atteigne les personnes touchées par le conflit ainsi que celles qui peuvent plaider en faveur de la paix et de la réconciliation. Si KIMAN obtenait une reconnaissance internationale, elle serait en mesure d’atteindre les personnes touchées par les conflits ainsi que celles en mesure de défendre la paix et la réconciliation. Si KIMAN devait être reconnu au niveau international, il serait gratifiant que ses thèmes de réconciliation et de justice soient récompensés par des prix célébrant l’impact de la littérature et des droits de l’homme, tels que le PEN International Awards ou le Noma Award for African Publishing. «
TV: Avez-vous personnellement vécu la perte d’un être cher dans le conflit du NOSO (Nord-Ouest, Sud-Ouest) ?
AM: » Le conflit dans les régions du NOSO, comme partout ailleurs dans le monde, m’a profondément touché, à la fois en tant que natif de la région affectée et en tant que personne activement engagée dans la défense de la paix. De nombreux amis, collègues et membres de la communauté ont subi d’énormes pertes, et les récits de KIMAN s’inspirent d’un chagrin commun que je partage avec eux. Bien que je n’ai pas perdu un membre de ma famille proche, la douleur ressentie par la communauté est profondément personnelle et a façonné mon engagement à promouvoir la guérison et la justice à travers ce recueil de poèmes. «
Ange ATALA