Marlène, Rode, Charlotte, Hortence , Aïcha , et bien d’autres femmes ; participent au quotidien, et chacune à sa manière, aux actions de préservation de la biodiversité marine et côtière, au sein du Parc National Manyangue Na Elombo Campo. Nous nous sommes rendus dans le village Ebodje, pour nous rendre compte de la manière dont elles s’y prennent.
Pendant longtemps, elles sont restées à des rôles invisibles dans la chaîne de la pêche artisanale, dans l’activité de fumage de poisson. Leur seule action c’était d’écumer les berges, à essayer de négocier avec des pêcheurs parfois capricieux, en vue de l’acquisition du poisson avec un meilleur rapport qualité-prix. Mais: « bousculer cette barrière culturelle et sociale n’a pas été évident, car il faut le reconnaitre, les femmes dans le milieu de l’écosystème marin-côtier, ne bénéficient pas du même intérêt que les femmes vivants sur l’écosystème forestier, il était temps que ça change » , nous informe Marlène Djoumessi, l’Ingénieure des Eaux et Forêts, est par ailleurs responsable des relations avec les communautés à Tube Awu.

Marlène Djoumessi (au centre).
Un petit tour au bout du village, plus précisément sur les lieux du débarcadère appelé « Manga ma Djao », là où la rivière Likodo qui alimente les sources d’eau douce du village, se jette à l’Océan Atlantique. Ce samedi matin, la plage est très animée, les habitants sont massés par dessus les pirogues, pour effectuer un mouvement automatique qui semble facile mais pas tant que ça. Il s’agit de démailler les poissons pris dans les filets de pêche. Nos premières tentatives pour retirer les poissons semblent ardues, tant les poissons sont bien incrustés entre les mailles du filet. Dida , tout souriant, un pêcheur expérimenté, nous lance au loin: « on sent que vous n’avez pas l’habitude, mais si vous continuez comme ça, vous risquez de vous blesser, il vaut mieux laisser ». Nous ne l’entendons pas de cette oreille, voyant notre engagement à nous tordre les doigts devant la dextérité des autres, une petite main experte se glisse à notre portée.
Il s’agit d’Aïcha, l’élève en classe de 6è au CES d’Ebodje comme elle nous le dira plus tard, est venue nous prêter main forte dans cet exercice périlleux pour les moins expérimentés. Et au bout de la 5è tentative, nous parvenons a retirer le poisson, sans le déchirer, c’est là tout le défi de l’exercice. Car la plupart des poissons ainsi récupérés sont destinés à la commercialisation, en passant par la case fumés. C’est donc ça le destin scellé des femmes de cette zone géographique, mais les données ont changé depuis que les actions d’éducation environnementale sont menées dans les établissements scolaires, et lors des activités communautaires diverses.

Rode Elcy en séance d’éducation environnementale avec les élèves de l’école primaire publique de l’un des villages de l’arrondissement de Campo.
Cela a été rendu possible avec l’engagement manifeste de Marlène Djoumessi, pendant 4 ans, elle a sillonné les villages et les établissements scolaires pour initier un changement de comportement. Aujourd’hui supplée dans cette activité par Rode Elcy Guiadem, Ingénieure des Sciences Halieutiques, et responsable de l’éducation environnementale à Tube Awu. Depuis bientôt 1an, Rode joue un rôle essentiel dans la sensibilisation des jeunes et des communautés côtières à la protection de l’environnement marin, notamment dans une quinzaine de villages côtiers appartenant à l’arrondissement de Campo. Depuis son arrivée dans l’équipe de Tube Awu, Rode a mis en œuvre un programme d’éducation environnementale structuré qui a permis de toucher 800 élèves et écoliers en 2024, avec une méthodologie adaptée aux réalités locales :
- Séances hebdomadaires dans les écoles primaires et collèges sur la biodiversité marine, les tortues luth, la pollution plastique et les gestes écologiques
- Activités ludiques : dessins, quiz, jeux de rôle, théâtre écologique
- Sorties pédagogiques sur les plages pour observer les sites de ponte et comprendre les menaces qui pèsent sur les tortues
« Les enfants sont curieux, ils posent des questions, ils veulent protéger. Il suffit de leur donner les clés », confie Rode après une séance à l’école publique d’Ebodjé.

Patrouille de nuit en saison de migration des tortues marines, localisation et sécurisation d’un nid d’œufs.
Rode ne se contente pas d’enseigner des concepts, elle s’évertue à relier chaque notion à la vie des enfants, en leur apportant des démonstrations concrètes du lien entre les déchets plastiques et la mort des tortues; de la nécessité de ne pas saccager les nids de tortues découverts sur la plage; du rôle des femmes dans la protection des écosystèmes marins.

A travers des ateliers de dialogue transgénérationnels, elle travaille en étroite collaboration avec les enseignants, les chefs traditionnels, et les mères du village, pour que l’éducation environnementale devienne une affaire collective.
Charlotte Bevoudou, fait partie des femmes d’Ebodjé, qui ont décidé d’occuper l’espace de conservation en matière de gestion durable des ressources marines, particulièrement en diversifiant ses sources de revenus, afin de limiter la forte pression sur les espèces halieutiques. Sous la bannière de l’association Tube Awu, elle sensibilise les communautés locales pour participer aux patrouilles de nuit sur les plages, afin de lutter contre le braconnage des espèces protégées.

Objets fabriqués par Charlotte Bevoudou.
Afin de mieux incarner cette nouvelle génération de femmes leaders dans la conservation de l’écosystème marin et côtier, l’association « Femmes dynamiques d’Ebodje » a vu le jour, Hortence Moliko epse Tyenya en est la présidente ( voir image de titre). Elle témoigne : « c’est la présence de Tube Awu dans le village qui m’a permis de comprendre le lien qu’il y’a entre protéger les tortues et l’abondance ou l’absence du poisson » elle ajoute: « j’étais destinée à vendre du poisson fumé toute ma vie, et je galerais à arrondir mes fins de mois, quand le poisson venait à manquer ». La mère de famille de 5 enfants et épouse de pêcheur nous confie, avoir identifié environ 14 femmes depuis 4 ans, qui ont bénéficié des formations en matière de fabrication de savon de lessive, d’huile de noix de coco, mais aussi de l’élevage d’escargots, et même de conception d’objets de décoration. En dernier ressort c’est l’acquisition d’un espace cultivable de 1 hectare, destiné à la culture du manioc.
Dans un souci de contribuer à diversifier les sources de revenus , ainsi que l’apport en protéine des ménages de la localité, Tube Awu mène plusieurs actions concrètes et structurées pour valoriser les femmes et les intégrer pleinement dans la conservation marine et côtière. En plus des bénéfices environnementaux , les initiatives permettent à ces différentes actrices d’être: proches du terrain, sensibles aux réalités sociales, et engagées pour une écologie inclusive.
Ange ATALA
