COP16 BIODIVERSITÉ : DES AVANCÉES SYMBOLIQUES MAIS UN ÉCHEC FINANCIER À CALI

La seizième Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique s’est achevée à Cali sans accord sur le financement nécessaire à la mise en œuvre du Cadre mondial pour la biodiversité. Malgré l’adoption d’un mécanisme de partage des avantages issus de l’exploitation des ressources génétiques, l’absence de consensus sur les moyens financiers compromet les objectifs fixés à l’horizon 2030.

Cali – La COP16 sur la biodiversité, organisée à Cali en Colombie, s’est conclue sur un bilan contrasté, marqué par l’échec des négociations financières pourtant cruciales pour opérationnaliser le Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal adopté en 2022. Les délégations des 196 pays signataires n’ont pas réussi à s’entendre sur la mobilisation des ressources financières nécessaires pour inverser la destruction de la nature d’ici 2030, objectif central de l’accord de Montréal.

Cette impasse financière constitue un revers majeur pour la mise en œuvre effective des 23 cibles du Cadre mondial, qui nécessitent selon les estimations entre 200 et 700 milliards de dollars par an d’investissements supplémentaires à l’échelle mondiale. Les pays en développement, qui abritent la majeure partie de la biodiversité planétaire, réclamaient des engagements financiers fermes de la part des nations industrialisées, historiquement responsables de la dégradation des écosystèmes et disposant des capacités économiques pour soutenir les efforts de conservation.

Les négociations ont achoppé sur plusieurs points de friction récurrents dans les forums environnementaux multilatéraux : le montant global des financements à mobiliser, les mécanismes de transfert et de décaissement, la répartition entre financements publics et privés, et surtout la question de savoir si ces fonds devaient être additionnels aux engagements existants ou simplement réalloués depuis d’autres lignes budgétaires d’aide au développement.

Les pays développés ont fait valoir leurs contraintes budgétaires et ont insisté sur la nécessité de mobiliser également des financements privés et innovants, tandis que les pays en développement ont dénoncé une tentative de se dérober aux responsabilités financières qui incombent historiquement aux nations ayant le plus contribué à l’érosion de la biodiversité mondiale à travers leur modèle de développement industriel.

Malgré cet échec sur le volet financier, la COP16 a néanmoins enregistré une avancée significative avec l’adoption d’un mécanisme de partage des avantages issus de l’utilisation des informations de séquençage numérique des ressources génétiques. Ce dispositif, fruit de négociations complexes et techniques, établit un système de compensation financière basé sur les profits des entreprises pharmaceutiques, cosmétiques, agrochimiques et biotechnologiques qui exploitent commercialement les données génétiques issues de la biodiversité.

Ce mécanisme répond à une revendication de longue date des pays du Sud, qui déplorent depuis des décennies la biopiraterie pratiquée par certaines multinationales occidentales : l’extraction gratuite de ressources génétiques provenant de leurs territoires, suivie de leur valorisation commerciale sans aucune compensation pour les pays d’origine ni pour les communautés locales et autochtones détentrices des savoirs traditionnels associés à ces ressources.

Concrètement, le nouveau système prévoit qu’une fraction des revenus générés par l’exploitation commerciale de ces informations génétiques soit reversée à un fonds multilatéral destiné à financer la conservation de la biodiversité et à soutenir les communautés locales et peuples autochtones qui en sont les gardiens traditionnels. Les modalités précises de calcul de cette contribution, les taux applicables et les mécanismes de contrôle devront être définis lors des prochaines COP.

Cette avancée, saluée par les organisations de la société civile et les représentants des peuples autochtones, constitue une reconnaissance du principe d’équité dans le partage des bénéfices tirés de la nature. Elle s’inscrit dans la lignée du Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, adopté en 2010 mais dont la mise en œuvre demeure inégale.

Toutefois, les experts soulignent que les revenus attendus de ce mécanisme, bien que significatifs, resteront insuffisants pour combler le déficit de financement global nécessaire à la réalisation des objectifs de biodiversité. Ils estiment que ce fonds pourrait générer quelques milliards de dollars annuellement, soit une fraction modeste des besoins évalués entre 200 et 700 milliards de dollars par an.

La COP16 a également été marquée par des débats tendus sur l’objectif emblématique de protection de 30 % des terres et des océans d’ici 2030. Si cet objectif, inscrit dans le Cadre mondial de Montréal, fait désormais consensus sur le principe, sa traduction opérationnelle soulève des questions complexes de définition des zones à protéger, de droits des communautés locales, de modalités de gestion et surtout de financement des aires protégées.

Les organisations de conservation ont alerté sur le risque d’une « protection de papier », où des zones seraient déclarées protégées sans bénéficier des moyens humains, techniques et financiers nécessaires à une conservation effective. Elles ont également insisté sur la nécessité de garantir les droits des peuples autochtones et des communautés locales, dont les territoires ancestraux représentent souvent les zones de plus haute valeur écologique et qui pratiquent depuis des générations des modes de gestion durables des ressources naturelles.

Pour l’Afrique, continent abritant une part substantielle de la biodiversité mondiale mais disposant de ressources financières limitées pour sa conservation, l’échec des négociations financières à Cali constitue une déception majeure. Les délégations africaines avaient plaidé pour un doublement des flux financiers internationaux destinés à la biodiversité, arguant que les pays du continent assument des coûts de conservation élevés tout en bénéficiant faiblement des revenus générés par l’exploitation commerciale de leurs ressources génétiques.

La dynamique de Cali contraste avec celle de Montréal en 2022, où l’adoption du Cadre mondial avait suscité un enthousiasme comparable à celui généré par l’Accord de Paris sur le climat en 2015. Deux ans plus tard, l’euphorie cède la place au réalisme : comme pour le climat, la traduction des engagements globaux en actions nationales concrètes et financées se heurte aux réalités géopolitiques, économiques et politiques.

Les prochaines échéances seront déterminantes. La COP17, dont le lieu et la date restent à définir, devra impérativement débloquer la question du financement sous peine de voir le Cadre mondial pour la biodiversité rejoindre les précédents objectifs d’Aichi dans le cimetière des bonnes intentions non suivies d’effets. Entre-temps, la pression s’intensifie sur les États pour qu’ils soumettent leurs stratégies nationales de biodiversité, dont le taux de soumission reste dramatiquement faible un an après l’échéance fixée. L’échec relatif de Cali rappelle une réalité implacable : sans financements adéquats et sans volonté politique soutenue, les objectifs de biodiversité, aussi ambitieux et scientifiquement fondés soient-ils, resteront hors d’atteinte. La fenêtre d’opportunité pour inverser la trajectoire d’effondrement du vivant se rétrécit rapidement, et chaque COP qui s’achève sans progrès tangible rapproche un peu plus l’humanité de points de bascule écologiques irréversibles