Le projet Vitaf, lancé en 2023 et déployé jusqu’en 2027, réunit dix partenaires régionaux pour évaluer les bénéfices de l’agroforesterie viticole face au changement climatique. Cette initiative innovante s’appuie sur un dispositif expérimental rigoureux et un réseau de 41 parcelles pour documenter les impacts de l’association arbres-vignes sur la production et la résilience climatique.
Le projet Vitaf « Agroforesterie en viticulture en Bourgogne-Franche-Comté », porté par l’Établissement Public Local d’Enseignement et de Formation Professionnelle Agricole de Mâcon-Davayé et animé par le Vinipôle Sud Bourgogne, poursuit son déploiement opérationnel depuis 2024. Ce partenariat européen, qui s’étendra jusqu’en 2027, fédère dix acteurs régionaux autour d’un objectif commun : mesurer scientifiquement les impacts des pratiques vitiforestières et contribuer à leur développement dans le vignoble bourguignon-franc-comtois.
Après une phase de lancement consacrée en 2023 à la structuration du partenariat et à la définition du protocole scientifique, le projet est entré dans sa phase opérationnelle de collecte de données et d’accompagnement des viticulteurs. Cette initiative répond à une problématique majeure pour la viticulture régionale : l’adaptation au changement climatique et ses manifestations de plus en plus prégnantes, notamment les épisodes de sécheresse, les vagues de chaleur estivales et les événements climatiques extrêmes.
Le dispositif expérimental repose sur le suivi approfondi de deux parcelles pilotes situées à Lugny et Davayé, en Saône-et-Loire, au cœur du vignoble mâconnais. Ces sites ont fait l’objet d’aménagements agroforestiers définis collégialement par l’ensemble des partenaires du projet, associant expertise agronomique, viticole et arboricole. Les essences arborées ont été sélectionnées selon plusieurs critères : compatibilité avec le système viticole, capacités d’adaptation aux conditions pédoclimatiques locales, services écosystémiques attendus et valorisation économique potentielle.
La deuxième campagne de mesures vient de s’achever à l’issue des vendanges 2025. Le protocole scientifique prévoit une analyse comparative rigoureuse entre les zones situées sous l’influence directe des arbres et les zones témoins éloignées de toute présence arborée. Les paramètres mesurés incluent notamment le poids de cent baies, indicateur de la charge en sucres et de la maturité physiologique, ainsi que les analyses de moûts permettant d’évaluer la qualité œnologique de la récolte : teneur en sucres, acidité totale, pH, potentiel aromatique et composition phénolique.
Ces données permettront de documenter l’influence de la présence arborée sur plusieurs dimensions de la production viticole : modification du microclimat au sein de la parcelle, régulation de l’ensoleillement et des températures, gestion de l’eau par les systèmes racinaires complémentaires, enrichissement de la biodiversité fonctionnelle, amélioration de la structure et de la fertilité des sols, et in fine, impacts sur les caractéristiques quantitatives et qualitatives de la vendange.
Au-delà du dispositif expérimental proprement dit, le projet Vitaf s’appuie sur un réseau étendu de 41 parcelles viticoles déjà engagées dans des démarches agroforestières à des stades variés. Depuis le printemps 2025, les techniciens des Chambres d’agriculture de Bourgogne-Franche-Comté assurent un suivi régulier de ces sites, collectant des données sur les pratiques mises en œuvre, les difficultés rencontrées, les bénéfices observés et les adaptations nécessaires.
Ce réseau constitue un observatoire précieux des pratiques vitiforestières réelles, dans leur diversité et leur complexité opérationnelle. Il permet de documenter les solutions techniques développées par les viticulteurs pionniers, d’identifier les facteurs de réussite et les écueils à éviter, et de capitaliser une expertise pratique qui viendra compléter les résultats du dispositif expérimental. Les visites de parcelles offrent également des opportunités d’échanges entre pairs, favorisant la diffusion horizontale des connaissances et le renforcement d’une communauté de pratique autour de la vitiforesterie.
La vitiforesterie, qui consiste à associer intentionnellement des arbres au sein ou en bordure des parcelles viticoles, s’inscrit dans une démarche plus large d’agroforesterie appliquée aux systèmes de production agricole. Cette approche, inspirée de savoirs ancestraux et revisitée par l’agronomie contemporaine, vise à reconstituer des systèmes productifs multifonctionnels offrant une palette de services écosystémiques : régulation climatique, conservation des sols, amélioration du cycle de l’eau, séquestration du carbone, habitat pour la biodiversité auxiliaire, diversification économique et amélioration du paysage.
Dans le contexte viticole, la présence d’arbres peut notamment contribuer à atténuer les stress thermiques et hydriques subis par la vigne durant les périodes estivales caniculaires de plus en plus fréquentes. L’ombrage partiel et la modification du microclimat peuvent ralentir la maturation, préserver l’acidité des moûts et éviter la surmaturité précoce qui compromet l’équilibre des vins. Les systèmes racinaires profonds de certaines essences arborées peuvent également favoriser l’infiltration de l’eau et améliorer la résilience du système face aux sécheresses.
Toutefois, l’introduction d’arbres dans les vignobles soulève également des questions techniques et économiques légitimes qui justifient une approche scientifique rigoureuse. La compétition potentielle pour l’eau et les nutriments, l’impact sur la mécanisation, les contraintes de gestion des arbres, les effets sur le développement de certaines maladies cryptogamiques favorisées par l’humidité, ou encore les implications pour les appellations d’origine contrôlée nécessitent d’être documentés et quantifiés.
C’est précisément l’ambition du projet Vitaf : fournir des références scientifiques robustes permettant aux viticulteurs d’évaluer la pertinence de la vitiforesterie dans leur contexte spécifique et d’opter pour des aménagements adaptés à leurs objectifs de production. Les résultats attendus incluent des recommandations sur les essences arborées les plus appropriées, les densités et configurations spatiales optimales, les modes de gestion compatibles avec les contraintes viticoles, et les bénéfices mesurables en termes de qualité de la vendange et de résilience face au changement climatique.
Le financement européen de ce projet témoigne de l’intérêt des institutions pour les solutions fondées sur la nature dans l’adaptation de l’agriculture au changement climatique. Il s’inscrit dans les objectifs de la Politique Agricole Commune révisée, qui encourage les pratiques agroécologiques et la reconstitution d’infrastructures écologiques au sein des paysages agricoles.
À mi-parcours de sa période de déploiement, le projet Vitaf a d’ores et déjà contribué à sensibiliser le milieu viticole bourguignon-franc-comtois aux potentialités de l’agroforesterie. Les années 2026 et 2027 seront consacrées à la consolidation des données, à leur analyse statistique et à la diffusion des résultats auprès des acteurs de la filière viticole régionale. Si les conclusions s’avèrent positives, cette expérimentation pourrait ouvrir la voie à un déploiement plus large de la vitiforesterie dans le vignoble français, contribuant ainsi à sa transition écologique et à son adaptation aux défis climatiques du XXIe siècle.
Puissance KOLOKO
