HIFFI : initiative pour augmenter les flux de financements en faveur de la préservation des forêts du Bassin du Congo

Ce nouveau mécanisme a été présenté à la communauté des journalistes scientifiques membres du réseau (SciLife) du Cameroun, lors d’un café science organisé par WWF, le 31 janvier 2025, dans une salle de conférence de l’UNESCO à Yaoundé.

L’initiative financière HIFFI est née de la collaboration entre la COMIFAC (Commission des Forêts d’Afrique Centrale) et le PFBC (Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo), il est question de mener à une grande attractivité économique des forêts du bassin du Congo, à des fins d’offrir des services écosystémiques au bénéfice des populations locales, des bienfaits pour la planète entière. « L’initiative consiste à identifier les facteurs économiques inhérents aux forêts du bassin du Congo, les monétiser en leur donnant de la valeur, en vue de les faire rémunérer par l’ensemble des partenaires internationaux qui œuvrent pour la préservation de l’environnement », ces propos tenus par Jonas Kemajou, en sa qualité de Financing Manager au WWF (Fonds Mondial pour la Nature), démontrent d’une volonté du Cameroun à collaborer avec des partenaires internationaux.  

Le mot est dit : « transformer les forêts du Bassin du Congo en pôle de recette, plutôt qu’en pôle de dépenses », pour comprendre la nécessité de cette migration, il faut remonter à Rio 1992. La Conférence de Rio de 1992, également connue sous le nom de Sommet de la Terre, a marqué un tournant dans la coopération internationale pour le développement durable. Cependant, elle a également mis en lumière des défis spécifiques pour les pays du Bassin du Congo, notamment en matière de préservation des forêts tropicales sans bénéfices directs suffisants.

Prenons au cas par cas les mesures qui ont été imposées aux pays du Bassin du Congo :

  • Le Principe des Responsabilités Communes mais Différenciées : La Déclaration de Rio a introduit ce principe, reconnaissant que les pays développés ont une plus grande responsabilité dans la dégradation environnementale mondiale. Cependant, les pays en développement, comme ceux du bassin du Congo, ont souvent été contraints de limiter l’exploitation de leurs ressources naturelles sans recevoir un soutien financier ou technologique adéquat.
  • Les Pressions pour la Conservation : Les forêts du bassin du Congo, essentielles pour la régulation du climat mondial, ont été désignées comme des zones prioritaires pour la conservation. Cela a conduit à des restrictions sur l’exploitation forestière et minière, limitant les opportunités économiques pour les populations locales.
  • Le Manque de Financement Adéquat : Bien que des mécanismes comme le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) aient été créés, les financements alloués aux pays du Bassin du Congo ont souvent été insuffisants pour compenser les pertes économiques liées à la conservation.
  • Des Inégalités dans les Bénéfices : Les pays développés bénéficient indirectement des efforts de conservation des pays du Bassin du Congo, notamment par la réduction des émissions de carbone, gage de régulateur du climat mondial. Cependant, les bénéfices directs pour les pays du Bassin restent limités, exacerbant les inégalités économiques.

Lors de la 20e réunion des parties à Kinshasa, des recommandations ont été faites pour élaborer une stratégie de mobilisation post-2025, améliorer la coordination des financements et renforcer les capacités des pays à valoriser leurs ressources naturelles. En effet, la  Banque Africaine de Développement (BAD) et ses partenaires se sont réunis à Kinshasa pour renforcer les initiatives de financement en faveur de la préservation des forêts du Bassin du Congo. Plus de 700 acteurs, dont des ministres et hauts responsables de la région, ont participé à cette 20e réunion des parties du Partenariat pour les forêts du Bassin du Congo.

La réunion, qui s’est achevée le 5 juin 2024, a abouti à des recommandations majeures : élaborer une stratégie de mobilisation post-2025, améliorer la coordination des initiatives de financement et renforcer les capacités des pays pour valoriser leurs ressources naturelles. La création de mécanismes financiers inclusifs pour attirer des investissements privés dans la gestion durable des forêts a également été soulignée. Nous citerons également La Déclaration de Glasgow, qui  a mobilisé 1,5 milliard de dollars pour la protection des forêts et 1,7 milliard pour soutenir les peuples autochtones et les communautés locales. Ces fonds visent à promouvoir une gestion durable des forêts. Sans oublier l’Initiative pour la Forêt de l’Afrique Centrale (CAFI), un programme qui soutient des projets intégrés pour la gestion durable des forêts, la biodiversité et les écosystèmes dans la région.

L’objectif est d’attirer des investissements privés tout en assurant la transparence et la coordination des initiatives. L’article 5 de l’accord de Paris met l’accent sur la conservation et le renforcement des puits et réservoirs de gaz à effet de serre, notamment les forêts. Il encourage les Parties à prendre des mesures pour réduire les émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts, tout en promouvant la gestion durable des forêts et l’accroissement des stocks de carbone forestiers. Cette approche fait référence au flux de carbone (émissions et séquestration du C02 dans l’atmosphère).

Ce qui pousse à questionner  le bilan carbone des forêts du Bassin du Congo, qui affiche un net positif de 1,5 milliards de tonnes, mais quelle est donc la valeur attribuée à ce carbone ? Qui doit payer en compensation financière ce service écosystémique accordée au bénéfice de la planète entière ? Comment ça va être payé ? D’où la nécessité de vraiment étudier et analyser, dans un cadre de négociation juste et équilibré, les forêts à haute intégrité du Bassin du Congo, dans le but de les faire devenir des pôles de recette pour les gouvernements qui les abritent.

Pour Timothée Kagonbe, sous-directeur du Monitoring Écologique et Suivi du Climat au sein du Ministère de l’Environnement, de la Protection de la Nature et du Développement Durable (MINEPDED) au Cameroun : « pendant 9 ans de négociations, il était difficile de trouver les moyens de mise en œuvre de l’article 6.2 de l’accord de Paris, pour une collaboration entre Etats en terme de marché carbone. La COP 29 tenue à Bakou a permis de faire des avancées. Mais la volonté du Cameroun est d’abord de positionner les co-bénéfices, il s’agit entre autre de la création d’emplois, et du développement d’un environnement sain pour les populations ». La récente COP29 a permis de  définir les moyens de mise en œuvre de certaines pratiques favorables à l’adaptation  aux changements climatiques grâce aux fonds des pertes et dommages, initié à la COP27 qui s’est tenue en Égypte, dans la ville côtière de Sharm el-Sheikh.

L’initiative HIFFI met à contribution plusieurs éléments exploitables, c’est le cas des terres forestières à haute intégrité, Jonas Kemajou lors de son exposé a donné quelques orientations : « l’usage des terres forestières emporte l’idée de l’exploitation de la partie superficielle par les cultures, mais aussi du sous-sol avec les ressources minières. Le Bassin du Congo regorge de plus de 200 millions d’hectares de forêts à haute intégrité, en plus du stockage et de la séquestration  du carbone, ils contribuent à la régulation du climat mondial, et à la conservation de la biodiversité ». Maintenir l’utilisation au rabais de ces terres dans l’état actuel n’apporte pas de co-bénéfices aux Etats qui abritent le Bassin du Congo, de plus c’est l’Etat qui abrite ces forêts qui dépense (en payant des fonctionnaires et des eco-gardes)  de son argent pour les protéger.

La conservation seule les met dans le négatif sur le plan économique, et même en octroyant des concessions forestières cela génère en moyenne 45 dollars/hectare/an seulement, imaginons que l’on répartisse cela sur les 200 millions d’hectares de forêts du Bassin du Congo, les gains seraient conséquents. Les pays du Bassin du Congo ont un déficit en termes de routes, d’écoles, d’hôpitaux, d’industrie de transformation, des services sociaux de base, pourtant la ressource forestière génère de grands bienfaits climatiques et de la biodiversité pour le monde. L’agriculture seule génèrerait plus de 700 dollars/hectare/an à l’Etat du Cameroun, pour répondre aux besoins de l’autonomisation des populations, tout en répondant aux besoins alimentaires,  il serait bien de questionner les opportunités qu’offre l’agroforesterie, à l’échelle industrielle.

Au Bassin du Congo on respecte la limite de 0,01 à 0,33%, pour qu’un projet carbone soit rentable, le taux de déforestation ne doit pas être supérieur à 2%, pourtant en Amazonie le taux de déforestation dépasse 17 %, de par leurs pratiques d’agro-industrie et l’extraction minière à outrance. Par ailleurs, les pays de cette zone ont reçu plus d’1 milliards de dollars de fonds climatiques, tandis que le Bassin du Congo en a perçu moins de 40 millions de dollars. Il est vrai que l’Amazonie c’est la plus grande forêt tropicale du monde, couvrant environ 5,5 millions de kilomètres carrés. Mais le Bassin du Congo est le deuxième plus grand bassin forestier tropical, avec une superficie d’environ 3,7 millions de kilomètres carrés. L’Amazonie stocke environ 120 milliards de tonnes de carbone, et le Bassin du Congo c’est 30 milliards de tonnes de carbone, mais des tourbières (découvertes dans le massif du Congo central, sont de grands réservoirs naturels pour la séquestration du CO2)  sont encore en pleine exploration, et de nouvelles espèces sont en cours d’identification.

Le souhait des concepteurs de l’initiative HIFFI est de « ramener le Bassin du Congo dans la zone de profitabilité économique, pour le trésor public des Etats qui l’abritent. Le Bassin du Congo qui est le meilleur élève du monde entier pour les questions de préservation et de gestion durable des forêts, n’a reçu que 4% d’accompagnement financier en comparaison de l’Amazonie, malgré le fait qu’ils soient à plus de 17% de taux de déforestation» . En outre les forêts du Bassin du Congo reçoivent  67% de financement sous la forme de prêts, remboursables contre intérêts, et 24% se sont des aides publiques à taux concessionnels. La nécessité de cette initiative est de porter haut les intérêts des Etats qui abritent le Bassin du Congo, avec des populations victimes des changements climatiques, du fait de leur vulnérabilité , par le manque d’infrastructures de base, mais qui pourtant sont les meilleurs élèves en matière de conservation et de protection de l’environnement , au profit de l’écosystème mondial.

Ange ATALA