Du 22 au 23 novembre 2024, l’association Global Movement for Climate Justice (GMCJ) et son partenaire, l’ONG Konzeptwerk Neue Ökonomie, ont guidé des travaux au cours d’un atelier sur la stratégie de mise en œuvre d’un processus devant aboutir à la reconnaissance des torts subis par le Cameroun, suite aux 30 années de colonisation allemande.
Seulement au cours de l’année 2024, le Cameroun a connu de nombreuses catastrophes climatiques, les inondations ont détruit des milliers d’hectares de zones cultivées, la sècheresse, en plus de mener à l’insécurité alimentaire, a entrainé la baisse de l’offre énergétique qui repose essentiellement sur les ressources hydrauliques. L’agriculture qui a connu des perturbations à cause de l’imprévisibilité des saisons, alors que c’est la principale source de revenus des populations rurales estimée à 68% selon le dernier recensement de la population camerounaise. Aujourd’hui, suite à l’occupation des territoires pendant la colonisation allemande, cela se traduit par des disparités économiques régionales marquées. L’économie camerounaise est encore largement dépendante des cultures de plantation introduites par les Allemands, comme le cacao et le café. Ce qui peut rendre l’économie vulnérable aux fluctuations des prix mondiaux de ces produits.
Rupture du pont de Yagoua, suite à la vague d’inondations enregistrées en septembre 2024 dans le département du Mayo Danay, Région de l’Extrême-Nord Cameroun.
Sans oublier de mentionner les pertes en vies humaines, la destruction des infrastructures telles que des routes, des ponts, des bâtiments qui ont freiné les économies locales. D’après la Banque Mondiale, les inondations ont causé la destruction des foyers de 65 545 ménages, soit 356 730 personnes affectées. La quantification de ces pertes et dommages continue de se chiffrer, mais l’essentiel est connu, le Cameroun subi de plein fouet les dérèglements climatiques, sans pour autant avoir contribué à l’expansion industrielle qui en est à l’origine. D’où la nécessité de replonger dans les origines de l’ère industrielle, qui était la principale raison de la colonisation allemande. Pour Mme Poungagnigni Soumayatou, présidente de l’association Global Movement for Climate Justice (GMCJ), bien que la structure soit jeune, tient à apporter sa contribution à une meilleure rétribution des dommages causés par l’injustice sociale. Comme celle perpétrée par l’Allemagne sur le Cameroun, à travers l’exploitation intensive des ressources naturelles, pendant la période coloniale.
Présente à l’atelier, Mme Charline Feuyem, environnementaliste, et sénatrice junior, a ouvert les discussions , en rappelant les conséquences des changements climatiques que le Cameroun subit. Les participants ont appris que : « le Nord global est responsable de plus de 70 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1850, tandis que le Sud global subit 80 % des impacts climatiques. Le Cameroun quant à lui est responsable de moins de 0,03 % des émissions mondiales , mais fait face à des sécheresses, des inondations, et à la déforestation massive (notamment dans les régions comme l’Est). Il fait partie des 55 pays les plus vulnérables qui ont subi des pertes estimées à 525 milliards USD entre 2000 et 2019 (soit 20 % de leur PIB collectif) ».
De 1884 à 1922, le Cameroun est une colonie allemande, période pendant laquelle les populations se voient être expropriées de leurs terres, qui seront rasées pour laisser la place à l’installation des plantations, des industries extractives, de la construction de chemins de fer, pour l’enrichissement du gouvernement allemand, au détriment des populations locales camerounaises. Nous n’oublions pas de mentionner la réduction au travail forcé, l’exécution publique des résistants, parmi lesquels les chefs traditionnels à qui le pouvoir a été retiré de la lignée. Autant de faits qui ont décloisonné la société d’antan, et dont les conflits demeurent sous-jacents (ndlr: Charles Atangana, reconnu comme héros national, alors que c’est par la volonté des allemands que le véritable chef des Ewondo, basé à Ongola (actuel Yaoundé) Ombga Bissogo, fut décapité). Tout ceci dans le seul et unique besoin de dominer sur les populations, et d’exploiter au maximum les ressources naturelles détectées sur leurs terres.
Lorsqu’on considère que le Cameroun n’a pas réellement bénéficié de l’exploitation de ses ressources naturelles, le triste constat est que les populations vivants à proximité des plantations allemandes ont subi l’appauvrissement de leurs sols, du fait de l’utilisation des engrais chimiques qui ont lessivé le sol, le rendant pauvre au fil des années d’exploitation des monocultures, dans une forme d’agriculture intensive, principale pôle d’émissions de gaz à effet de serre. Le projet de demande de réparation supervisé par l’ONG allemande Konzeptwerk Neue Ökonomie, ont débuté en prenant en considération les plaintes des pays comme la Namibie, ou encore la Colombie. Dans la mise en œuvre de ce projet au Cameroun, il sera question de mener plusieurs actions de sensibilisation, pour donner une autorité juridique à la démarche, ce qui se traduit par la mise en place d’un groupe de travail permanent pour les représentants des 20 organisations invitées à prendre part aux travaux de cet atelier, le 2ièm à se tenir au Cameroun.
Mme. Stéphanie Njiomo, Responsable des Programmes Climat/ Friedrich-Ebert-Stiftung, a participé aux travaux de cet atelie
Dans les rencontres internationales, force était de constater que la passé colonial de l’ Allemagne au Cameroun était méconnu de plusieurs personnes. C’est l’une des raisons qui ont poussé M. Mfochivé Oumarou, le représentant de la Konzeptwerk Neue Ökonomie, présent à cet atelier, à créer un cadre dynamique de réflexion sous tous les angles que le colonialisme a heurté. Il affirme : « l’Allemagne fait partie des plus grandes nations pollueuses au monde , au vue des catastrophes climatiques qui sévissent au Cameroun, et de l’histoire coloniale qui unit ces deux pays, nous souhaitons que les discussions à la suite de cet atelier qui se tient au sortir de la Cop 29, lancent les jalons des négociations auprès du gouvernement allemand, afin de rendre la demande de justice climatique plus forte. »
Aimé Césaire, dans son ouvrage intitulé « Discours sur le colonialisme », paru en 1955, affirmait : « Une nation qui colonise, une civilisation qui justifie la colonisation, et donc la force, est déjà une civilisation malade, une civilisation moralement atteinte, qui, irrésistiblement, de conséquence en conséquence, de reniement en reniement, appelle son Hitler, je veux dire son châtiment ». Du 14 au 17 novembre 2023 s’est tenue la Conférence sur les réparations d’Accra avec la participation du Président du Ghana Nana Akufo-Addo, du Président de l’Union africaine Azali Assoumani, du Premier ministre du Burundi Gervais Ndirakobuca, de la Première ministre de la Barbade Mia Mottley, du Vice-président de la Commission de l’Union africaine Monique Nsanzabaganwa et de la Secrétaire générale de la Communauté caribéenne (CARICOM) Carla Barnett.
Les historiens ont établi que le génocide mené par l’Allemagne en Namibie (1904-1908) fut le banc d’essai du nazisme.
La conférence s’est conclue par l’approbation de la Proclamation d’Accra sur les réparations, qui prévoit de la part de l’Union Africaine la création d’un Comité d’experts sur les réparations, d’un Fonds globale pour les réparations et d’un Envoyé spécial sur les réparations pour les Africains, la reconnaissance des efforts de la société civile africaine sur les réparations, l’exploration des options légales et judiciaires pour les réparations avec la création d’un groupe de référence juridique, le rapatriement des restes et la restitution des objets culturels africains et la tenue régulière de Conférences internationales sur les réparations. Plus de 500 milliards USD de dettes dans le Sud global sont directement liées aux effets du changement climatique. Plusieurs pays ont reçu des réparations ou des excuses officielles pour les torts subis pendant la colonisation. C’est le cas de la Namibie : En 2021, l’Allemagne a officiellement présenté ses excuses pour le génocide des Héréros et des Namas, et a promis des réparations financières. Mais il traîne le pas à reconnaître l’impact que la colonisation allemande a laissé, et qui est à l’origine des crises climatiques dans les pays du Sud global, comme c’est le cas au Cameroun.
Le Cameroun se joint donc à cette initiative, pour demander des réparations et obtenir des dédommagements pour financer les initiatives de developpement de solutions basées sur la nature, pour atténuer les effets, et s’adapter aux changements climatiques. Patrice Kamkuimo, expert en gouvernance forestière, participant à cet atelier a confié : « il est important d’agir sur tous les leviers de financement, le dernier rapport de l’UNEP ( l’agence des Nations Unies pour la Protection de l’Environnement) fait état de ce que l’Afrique ne pourra respecter les engagements de l’accord de Paris, pourtant l’Afrique n’est en rien responsable du réchauffement global. Il faut que les pays du Nord global, ayant pollué depuis des siècles encouragent les pays du Sud global, pauvres et sous-développés, en finançant les mécanismes d’adaptation. Sans toutefois tout attendre des solutions exogènes, nous devons adopter de meilleurs comportements, à l’instar d’une gestion des déchets qui respecte l’environnement ».
Dans son allocution, Hervé MAKEBEL/Expert en finance climatique et Chef du Département Climat et Energie, au sein de l’ONG JVE Cameroun, a formulé des requêtes précises en terme de besoins en financements, devant contribuer aux réparations, en vue de combler la dette climatique. C’est sur cette base que le reste des panélistes, organisés en plusieurs séances de focus group, ont formulé de se constituer en un consortium d’acteurs, pour mener la suite des travaux, en usant chacun de ses compétences pour parvenir à l’obtention des réparations de la dette climatique que l’Allemagne a envers le Cameroun. Les demandes peuvent se résumer en ceci :
- Financement : les pays du Sud exigent un financement accru et prévisible pour l’adaptation et l’atténuation du changement climatique.
- Réparations : Les pays en développement réclament des réparations pour les pertes et dommages déjà subis, qui ne sont pas couverts par les mécanismes d’assurance.
- Transfert de Technologies : un accès aux technologies vertes et durables pour la transition énergétique et le développement résilient au climat.
- Justice Climatique : le Sud global appelle à une justice climatique équitable, qui tient compte des responsabilités historiques et des impacts différentiels du changement climatique.
- Excuses et reconnaissance publique
1ier mémorial de Berlin dédié à la décolonisation dévoilé le 15 novembre 2024 pour marquer 140 ans de la conférence de Berlin, une sculpture en Bronze inspirée de l’architecture de la tribu Musgum, originaire de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun.
L’exploitation intensive des ressources naturelles a conduit à des problèmes environnementaux persistants, tels que la déforestation et l’épuisement des sols. En outre, les conditions de vie et de travail difficiles, imposées par les colonisateurs ont eu des répercussions sur la santé des populations locales, dont certaines persistent aujourd’hui. La réorganisation territoriale et le favoritisme colonial ont exacerbé les tensions ethniques et sociales, certaines sequelles sont encore visibles aujourd’hui. La période coloniale allemande a laissé une empreinte durable sur le système éducatif et linguistique. Bien que le Cameroun soit maintenant bilingue (français et anglais), certaines influences allemandes persistent, surtout dans les noms de lieux et certaines pratiques culturelles. Ces aspects montrent comment les actions passées continuent d’affecter le Cameroun de manière complexe et multi-facettes.
Ange ATALA