Biodiverse Landscapes Fund (BLF) est un programme de développement international financé par le gouvernement du Royaume-Uni, à hauteur de 100 millions de livres sterling. Il a pour ambition de veiller à la conservation dans les paysages qui abritent des écosystèmes uniques au monde, une riche biodiversité et des communautés qui dépendent des ressources naturelles pour leur subsistance.
Dans le bassin du Congo, ZSL (Zoological Society of London) est un acteur majeur de la préservation des paysages du bassin du Congo occidental (WCB), dont 6 zones écologiques dans la partie Cameroun, un grand espace du 2ièm poumon écologique de la planète, après l’Amazonie.
« Cette année, j’ai vendu mon téléphone pour pouvoir envoyer mes enfants à l’école », s’est exprimé Gbobi Martin, père de 7 enfants, l’homme de 47 ans (voir photo en titre) appartient à la communauté Baka, du village Nomedjoh, situé à 12 km de Lomié. Le programme BLF vient en réponse à pareilles préoccupations, dans le bassin du Congo occidental, où il entend œuvrer pour la conservation et le développement durable, sous plusieurs aspects. Les principaux partenaires sont Plan International et Palladium, avec des contributions supplémentaires d’ONG locales, d’organisations communautaires, particulièrement les peuples autochtones. Le Cameroun est impliqué à travers 6 grands territoires : le sanctuaire de Mengame, la réserve de biosphère du Dja, le parc national de Nki, le parc national de Boumba-Bek, le parc national de la Lobeke, le parc national de Nouabale-Ndoki (frontalier avec la république du Congo).

Cartographie des territoires couverts par le programme BLF.
Plan International Cameroon dispose d’une grande expertise dans le travail avec les communautés depuis bientôt 30 ans, pour soutenir l’égalité des droits, l’accès aux services de santé primaire, et l’éducation pour les couches les plus vulnérables. A cet effet, Plan International Cameroon est responsable de la mise en œuvre des composantes « moyens de subsistance » et « santé » (respectivement 6 et 3), mais aussi une expertise en matière de genre.
Les composantes du BLF sont unifiées par trois thèmes transversaux :
1°- Protection des droits des populations autochtones : Reconnaître et sauvegarder les droits des populations autochtones à la terre, aux ressources et à l’autodétermination.
2°-Faciliter l’égalité entre les hommes et les femmes : Lutter contre les disparités entre les sexes en promouvant le leadership et les opportunités économiques des femmes.
3°- L’approche « One Health » (Une seule santé) : Intégrer la santé humaine, animale et des écosystèmes pour prévenir les épidémies et promouvoir un paysage équilibré.
Ce qui justifie la descente sur le terrain réalisée par le staff technique de Plan International Cameroon, du 23 au 26 janvier 2025, dans la localité de Lomié et les villages environnants, dans la région de l’Est Cameroun. Afin d’entrer en contact avec les peuples autochtones de la communauté Baka, partenaires de mise en œuvre des activités du projet BLF.

Jacquette Yebe.
Sur la route non bitumée, le passage incessant des mototaxis soulève un nuage de poussière laissant se former une brume, qui nous a empêchée d’apercevoir au loin, Jacquette Yebe, l’épouse de Martin Gbobi mentionné en introduction. D’un pas alerte, la mère de famille porte sa petite dernière, elle nous rejoint dans l’entretien que son époux nous a consacré, et ses remarques sont beaucoup plus précises. « Nous n’avons pas d’eau, ni d’électricité, nos jeunes femmes s’exposent aux dangers d’attraper des maladies en allant faire leurs besoins en brousse, faute de toilettes publiques. On nous a dit de quitter la forêt pour se rapprocher des villes, mais la cohabitation a entrainé des problèmes avec les Bantou ( designe toute autre ethnie que les Baka). Nos enfants veulent bien suivre une scolarité normale, et aller le plus loin possible, mais les longues distances sur le trajet de l’école, mettent la vie de nos enfants en danger ».

En général, le parcours scolaire s’arrête au niveau CM2, à l’école primaire du village.
Se joignant à la conversation, Martin nous fait remarquer la manière dont les mototaxis roulent sur une route en terre, en zone d’agglomération, et près d’une école de surcroit. Quand nous leur demandons comment ils font en cas d’accident, le couple émet à l’unisson un cri de détresse : « le centre de santé public le plus proche est situé à 17 km d’ici, à Mintoum ( 1000fr CFA de transport), pour les premiers soins, nous avons une clinique privée dans le village, c’est la propriété d’un pasteur évangélique Bantou . Seulement, les frais sont tellement élevés pour nos poches, que nous sommes très souvent réduits en esclave, contraints d’effectuer des tâches ménagères pour rembourser les traitements administrés à nos proches . Vous imaginez un père de famille comme moi, en train de se faire gronder pour laver le sol, c’est une clinique de l’enfer pour nous les Baka».

Sa Majesté Bebeli Jean Rosselin, chef du village Nomedjoh.
Quelque temps après, nous nous sommes rendus chez le chef du village Nomedjoh, sa majesté Bebeli Jean Rosselin a orienté la discussion sur les perspectives qu’offrirait l’autonomie financière des populations : « Nous sommes allés à l’école pour avoir les basiques, mais les activités qui peuvent nous aider à vivre loin de nos terres en forêt, c’est l’agriculture, l’élevage, et la commercialisation de nos produits. Nous avons pour la plupart suivi quelques formations en pisciculture, apiculture, élevage, et agriculture. Nous avons identifié les semences qui produisent bien sur nos terres (pistache, arachide, maïs…), pour ce qui est de l’élevage (poulet de chair, oie, porc de race), nous voulons juste un meilleur encadrement ».

Nkelou Pascal et son épouse.
Pendant la discussion, nous avons été rejoints par Nkelou Pascal et son épouse, il nous a confirmé que : « en matière d’éducation, ils sont tenus seulement de payer les frais d’APEE (Association Parents d’Elèves et Enseignants), (ndlr : au Cameroun, ils varient entre 12 500Fcfa et 30000Fcfa, du primaire au secondaire), c’est ce qui a permis à mes 9 enfants d’être scolarisés, au point où ma fille ainée est aujourd’hui infirmière diplômée d’Etat, elle travaille déjà dans un centre hospitalier ».
Par ailleurs, le défi de la modernité se perçoit également dans l’adoption de nouvelles manières de construire les maisons d’habitation des peuples autochtones Baka, afin de garantir plus de sécurité à leurs proches. Sur notre trajet retour, nous avons constaté qu’il y a de moins en moins de « Moungoulou », l’habitat traditionnel du peuple Baka, le mode de vie sédentaire s’impose. Mais au bout de plusieurs dizaines de km parcourus, nous avons finalement aperçu un campement avec quelques huttes.

Dans le « Moungoulou » de Joseph Binelo, une pile de documents bien conservés, à l’abri des intempéries, ce sont les manuels scolaires de son fils , en classe de CE1.
Le regard rassurant, Joseph Binelo nous a invités chez lui, à Elandjo : « j’ai 2 enfants, tous scolarisés, le petit dernier fait le CE1, mais l’aîné est déjà en cycle secondaire, dans un établissement à plus de 1 000 F de transport, à Mindourou. À cause de la distance, nous sommes obligés de leur trouver un lieu d’habitation dans la ville, payer leur loyer et les frais de subsistance n’est pas facile pour nous. Les Bantou nous traitent comme des animaux, quand je pars acheter un pantalon, je peux travailler même pendant 2 semaines pour rembourser ». Pour subvenir aux besoins de sa famille, ce père de famille fait de l’apiculture, en plus d’être vannier, il pratique toujours la chasse et la cueillette en forêt; mais ses revenus sont maigres, particulièrement lorsqu’un problème de santé survient. La médecine traditionnelle demeure leur premier recours, mais certaines espèces d’arbres, avec des vertues curatives, ont disparu, réduisant ainsi les chances de survie de beaucoup lorsque surviennent des épidémies.

Joseph Binelo, devant le chantier en cours, d’un type de construction propre aux Batou, pour s’adapter au mode de vie sédentaire, afin que leurs enfants accèdent à l’éducation.
En plus de la biodiversité, le bassin du Congo est riche en ressources naturelles telles que les minéraux, le pétrole et les terres rares. Ces ressources sont essentielles pour l’économie locale et mondiale, mais rien de tout cela ne serait possible sans le mode de vie traditionnel des peuples autochtones. Des initiatives de conservation, telles que la création de zones protégées et la sensibilisation à la protection de la faune, sont en place pour préserver cet écosystème unique. Conscient de ces atouts, le programme BLF viendra renforcer l’autonomie des peuples autochtones vivant dans cette région, car ils sont les premiers acteurs de la conservation, il est crucial de continuer à protéger et à gérer durablement cette ressource humaine pour le bien-être de l’humanité toute entière.
Ange ATALA