KILIMO EKOLOJIA : La jeunesse africaine lance son offensive pour une agriculture durable

Forum Social Mondial Ouest Africain, Dakar —

Dans les couloirs du Centre international du commerce extérieur du Sénégal, l’effervescence était palpable ce matin. Plusieurs dizaines de jeunes délégués venus de dix pays africains ont officiellement lancé KILIMO EKOLOJIA, un mouvement panafricain de jeunesse dédié à la promotion de l’agroécologie paysanne sur le continent.

Le timing n’est pas fortuit. Alors que l’Afrique subsaharienne importe encore plus de 40 % de ses besoins alimentaires selon la Banque africaine de développement, l’usage intensif de pesticides menace la santé publique. Le réseau IPEN (International Polluants Elimination Network) documente l’utilisation de millions de tonnes de produits chimiques agricoles, dont certains sont interdits dans les pays développés mais toujours commercialisés en Afrique.« L’Afrique n’est pas la poubelle des produits chimiques toxiques ! », s’insurge Blondel Silenou, délégué du Cameroun à cette rencontre. Cette dénonciation fait écho aux préoccupations croissantes concernant l’impact sanitaire de l’agriculture conventionnelle, notamment les liens établis entre certains pesticides et l’augmentation des cancers, malformations congénitales et troubles neurologiques.

Au Burkina Faso, Béo Nerrè cultive ses parcelles selon les principes agroécologiques depuis une dizaine d’années. « Mes rendements ont augmenté de plus de 20 % chaque année sans aucun intrant chimique », témoigne cet agriculteur devenu référence dans sa région. Son exploitation démontre que l’alliance entre savoirs traditionnels et techniques modernes peut générer des résultats économiquement viables. « Des aliments en quantité et de qualité, oui c’est possible », affirme-t-il.

Cette approche séduit une jeunesse africaine confrontée au chômage et à l’exode rural. Selon l’Union africaine, 70 % des africains ont moins de 30 ans, mais seulement 3 % des jeunes travaillent dans l’agriculture de façon moderne.Larissa Yappo, directrice exécutive de Jeunes Volontaires pour l’Environnement (JVE) Côte d’Ivoire, a présenté la déclaration du mouvement. « Nous devons agir simultanément sur plusieurs fronts : le plaidoyer politique pour des réglementations plus strictes sur les pesticides, l’accompagnement technique des jeunes agriculteurs vers l’agroécologie et la recherche pour poursuivre les innovations, gages du succès de nos actions », détaille-t-elle.Le mouvement s’appuie sur un réseau de délégués nationaux au Cameroun, au Gabon, en Tanzanie, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et en Gambie.

Chaque antenne nationale aura pour mission d’identifier et de former des jeunes ambassadeurs de l’agroécologie d’ici fin 2026.Malgré l’enthousiasme, les obstacles restent considérables. L’accès au financement, la formation technique et l’accompagnement à la commercialisation constituent les principaux freins identifiés par les participants.« Nous ne partons pas de zéro », nuance Larissa Yappo. « De nombreuses initiatives existent déjà. Notre rôle est de les fédérer et de leur donner une visibilité continentale».

KILIMO EKOLOJIA s’inscrit dans une démarche plus large de souveraineté alimentaire. « L’Afrique peut nourrir l’Afrique », martèle Larissa Yappo, reprenant un slogan devenu emblématique des mouvements agricoles africains.Cette ambition prend tout son sens quand on sait que le continent dispose de 60 % des terres arables mondiales non exploitées, selon la FAO. L’enjeu consiste désormais à valoriser ce potentiel sans reproduire les erreurs de l’agriculture industrielle.

Le mouvement KILIMO EKOLOJIA représente ainsi bien plus qu’une initiative environnementale : il incarne l’aspiration d’une génération à reprendre le contrôle de son destin alimentaire. Reste à savoir si cette mobilisation parviendra à peser face aux lobbies industriels et aux habitudes de consommation établies.Les prochaines étapes du mouvement incluent la tenue d’ateliers de formation dans chaque pays membre et l’organisation d’un sommet continental de l’agroécologie paysanne prévu en 2026.

Iric DACHI