Au large de la Bretagne, les forêts de laminaires de l’archipel de Molène, parmi les plus grands champs d’Europe, subissent des épisodes de mortalité massive. Le réchauffement climatique détruit ces écosystèmes cruciaux, menaçant des milliers d’espèces marines et la chaîne alimentaire océanique.
Le dérèglement climatique agit sur les forêts sous-marines selon un mécanisme simple mais dévastateur. Les laminaires ont des limites de température autour de 18 degrés. Quand cette température dépasse ce seuil, elles se mettent en résistance. Dans le sud de la Bretagne où l’eau de surface est plus chaude, l’espèce Laminaria hyperborea a complètement disparu de certains sites et a fortement régressé ailleurs. Dans les Hauts-de-France et en Normandie où l’eau se réchauffe également en été, c’est l’espèce Laminaria digitata qui se raréfie et s’est éteinte sur certains sites. Même dans le Pays basque et le nord de l’Espagne, une troisième espèce Laminaria ochroleuca, pourtant adaptée aux eaux plus chaudes, perd du terrain. Des scientifiques prédisaient en 2013 des extinctions locales de Laminaria digitata sur les côtes françaises, anglaises et danoises dès les années 2050.
À cette hausse thermique s’ajoute une nouvelle menace : les changements hydriques. L’augmentation des précipitations et des inondations sur le continent déverse de fortes quantités d’eau turbide et douce dans l’océan, ce qui est néfaste pour le développement des algues qui ont besoin de luminosité pour faire leur photosynthèse. Le double stress—thermique et hydrique—crée un environnement hostile où ces végétaux marins, adaptation millénaire à leurs conditions naturelles, ne peuvent survivre.
Mais au-delà de la disparition des algues se cache un enjeu de biodiversité infiniment plus complexe. Les laminaires forment une canopée comme une forêt, abritant de nombreuses espèces marines de la lumière excessive et cassant les courants et la houle. Il y a beaucoup d’espèces qui vivent sous cette canopée, créant des milieux très riches. Les champs de laminaires accueillent des centaines d’espèces de petites algues, ormeaux, homards, roussettes, poulpes, oursins, étoiles de mer, crabes et poissons juvéniles comme le lieu jaune. Cette biodiversité exceptionnelle dépend entièrement de la présence de ces algues géantes. Lorsque l’habitat a disparu, le milieu s’appauvrit : les pêcheurs disent bien que là où les champs de laminaires ont disparu, ils ne trouvent plus autant de crustacés ou de poissons.
Cette cascade de perturbations écologiques illustre comment le changement climatique démantèle les écosystèmes non pas de manière isolée, mais en détruisant les structures fondatrices sur lesquelles reposent des réseaux entiers d’espèces. La perte des forêts sous-marines n’est pas une extinction parmi d’autres : c’est la destruction d’une infrastructure écologique essentielle, créant des zones marines appauvries incapables de soutenir les populations de poissons et de crustacés.
Les conséquences s’étendent jusqu’aux communautés humaines. Dans le Finistère, la récolte des algues fait vivre une trentaine de navires goémoniers au printemps et en été. Mais les saisons ont tendance à être plus courtes, l’algue ne se développe plus autant, et bien qu’il y ait toujours des plants, ils sont beaucoup plus courts en taille, menaçant directement ces activités économiques traditionnelles.
Le véritable enjeu révélé par la disparition des forêts sous-marines est celui d’une boucle de rétroaction climatique méconnue. Ces écosystèmes marins jouent un rôle crucial dans le cycle du carbone océanique. Leur destruction non seulement appauvrit la biodiversité mais réduit également la capacité des océans à piéger le carbone atmosphérique, accélérant ainsi le réchauffement climatique qui les menace. Sauver les forêts sous-marines, c’est donc protéger simultanément la biodiversité marine, les ressources alimentaires de millions de personnes et la stabilité climatique de notre planète.
Neba Marvin Noel
