Produits  chimiques toxiques : les travailleurs du secteur informel exposés !

Officiers de police, et autres membres  des corps armées, cadres de l’administration publique et parapublique, élèves et étudiants, ménagères ; la plupart se rendent au secteur 4 du marché Mokolo à Yaoundé. Le coin est reconnu sous l’appellation « hangar des cordonniers », et l’activité phare ici consiste en la réparation des chaussures, nous y avons fait un détour.

Samedi 15 février, le marché est très grouillant, la plupart des travailleurs, et ménagères s’y rendent pour faire les provisions de la semaine. Au lieu-dit  « Mokolo sapeur », pas très loin d’une caserne de sapeurs-pompiers, sous la chaleur accablante, un local se prêterait bien en lieu de repos pour les piétons, c’est le hangar des cordonniers. D’ailleurs en y prêtant une petite attention, la semelle de nos sandalettes mérite un petit coup de jeune. Hélé par plusieurs marchandeurs dont le métier en commun est réparateur de chaussure, notre choix se porte sur Dounga Guy ( voir photo en titre) . L’originaire de Garoua, dans la région du Nord Cameroun, nous fait bon accueil sur son comptoir, il faut noter qu’il est bien situé, à l’entrée du hangar, il reçoit beaucoup de commandes.

« Je suis ici depuis 22 ans déjà, et je gagne très bien ma vie avec ça, je peux faire des bénéfices à hauteur de 5000 fcfa/jour, et même plus, ça dépasse le salaire de certains fonctionnaires ». Ce père de famille dans la quarantaine, semble plutôt satisfait des revenus de son activité de cordonnier. Mais en observateur aguerri, au bout de 10 minutes seulement, nous refreinons une quinte de toux, puis un picotement des yeux, et une irritation des narines, en levant les yeux plus hauts, nous entrevoyons une affiche annonçant le décès de Bachirou. Ce jeune trentenaire a été retrouvé mort le 12 février 2025, à son domicile, les rumeurs d’un empoisonnement sont vite écartées, car le défunt avait de très bons rapports avec son entourage direct. D’ailleurs il a travaillé la veille, et a mis l’ambiance dans le hangar, néanmoins il avait l’habitude de se plaindre des douleurs à la poitrine, suite aux symptômes d’une tuberculose qu’on lui avait diagnostiquée quelques mois plutôt, visiblement le traitement n’a pas eu d’effets concluants sur le long terme.

Notant l’intérêt que nous portons à cette triste nouvelle, Alexis Guiwa  se joint à la discussion : « il n’est pas le seul à souffrir de la tuberculose ici, pleins d’autres jeunes en sont constamment malades, nous enregistrons plusieurs cas de décès par an », dit-il en désignant d’un signe de tête 2 autres jeunes, dont les comptoirs sont situés près du sien.  Alexis nous confie qu’il travaille dans ce hangar depuis 15 ans déjà, il est spécialisé dans la réparation des chaussures communément appelées « rangers » que les hommes de l’armé portent généralement.  A la question de savoir à combien s’élèvent les coûts des frais de santé dans sa famille, il dit «  ce n’est pas moins de 100 000 fcfa par mois », nous notons qu’il parle très bien français, il a fait des études au-delà du cursus  secondaire, mais faute de travail décent, il est réduit à exercer dans le secteur informel.

« Travailler ici au hangar des cordonniers  demande beaucoup d’efforts et d’abnégation, quand je rentre à la maison, malgré ma fatigue, je ne peux pas m’empêcher de passer du temps avec ma femme et mon enfant, de sorte que je traîne les maladies que je contracte ici, aux autres membres de la famille ». Aucun des cordonniers ne porte de matériel de protection EPI (Equipement de Protection Individuelle) tel que recommandé, les visites de contrôle des services sanitaire ne se font jamais, ils sont abandonnés à eux-mêmes, « pourtant nous réparons les chaussures des plus grandes personnalités de ce pays, ils envoient leurs gens faire réparer les chaussures ici » ajoute-t-il.  Au détour de la conversation, nous apercevons une cliente du 3ième âge, qui, en attendant que ses chaussures soient prêtes, tient un mouchoir sur son visage, pour filtrer l’odeur âcre des produits chimiques qui empestent dans l’air au sein du hangar.

Bien qu’ils soient les plus nombreux à y exercer, le hangar n’accueille pas que les cordonniers, des vendeurs ambulants de divers articles, ainsi que les commerçants d’aliments prêts à la consommation y ont trouvé un refuge. Toutes les couches de la population sont exposées à cette air nauséabonde, il est difficile d’y rester 2 heures d’affilés, d’ailleurs en remarquant notre respiration suffoquée, ils nous demandent de faire un tour dehors, pour respirer l’air moins polluée qui circule. Les réparateurs de chaussures  (tant ambulants que ceux derrière un comptoir) au Cameroun sont souvent exposés à des produits chimiques nocifs. Ces produits chimiques peuvent inclure des solvants, des adhésifs et d’autres substances utilisées dans le processus de réparation et de fabrication de chaussures.

L’exposition prolongée à ces produits peut entraîner des problèmes de santé tels que des irritations cutanées, des problèmes respiratoires et d’autres maladies liées à la toxicité chimique. Il est crucial de mettre en place des mesures de sécurité adéquates, telles que l’utilisation d’EPI, une ventilation adéquate dans les ateliers et une formation sur les risques liés à l’exposition chimique. De plus, il est important de sensibiliser les travailleurs aux dangers potentiels et aux bonnes pratiques pour minimiser ces risques.

Pourtant, le décret N°2011/2581/PM du 23 août 2011 réglemente l’utilisation et la gestion des substances chimiques nocives et dangereuses au Cameroun. Ce décret vise à protéger la santé des travailleurs et de l’environnement en établissant des règles strictes pour la production, l’importation, le transit et la circulation de ces substances. Cependant, malgré ces régulations, les cordonniers sont  exposés à des risques d’intoxication en raison de divers facteurs, tels que le manque de formation adéquate, l’insuffisance des équipements de protection individuelle et la non-conformité aux normes de sécurité. Il est crucial de renforcer la formation, la sensibilisation et les mesures de protection pour minimiser ces risques et assurer la sécurité des travailleurs.

Ange ATALA