À Cotonou, une centaine de représentants africains lancent un appel sans équivoque : la lutte climatique n’est pas une supplication mais une demande de justice. Neuf exigences non négociables pour un changement systémique qui reconnaisse la dette climatique du Nord envers le Sud.
La deuxième Contre COP des Peuples Africains (APCC) qui s’est déroulée à Cotonou, au Bénin, le 20 octobre 2025, a marqué un tournant décisif dans la mobilisation africaine pour la justice climatique. Plus d’une centaine de représentants de 20 pays africains—issus de communautés locales, de peuples autochtones, d’agriculteurs, de jeunes, de femmes et de la société civile—ont lancé un appel urgent qui redéfinit radicalement la notion même de justice climatique. Cet appel n’est pas une supplique adressée aux puissances mondiales ; c’est une demande incontournable de justice envers ceux qui ont systématiquement exploité le continent.


Au cœur de cette mobilisation se trouve un diagnostic fondamental : la crise climatique qui ravage l’Afrique n’est pas le fruit de nos actions, mais de la dette climatique contractée par les pays du Nord. Comme l’a déclaré Rumbidzai Mpahlo, coordinateur de l’African Climate Justice Collective (ACJC), « alors que nous contribuons de manière minime aux émissions, nous subissons le plus de souffrances ». Cette asymétrie morale et écologique constitue l’injustice climatique fondamentale : l’Afrique paie le prix d’une crise qu’elle n’a pas créée.
La justice climatique, telle que l’Afrique la conçoit, n’est pas abstraite. Elle commence par une reconnaissance explicite de la responsabilité historique. L’APCC exige que les pays du Nord paient leur dette climatique et les réparations dues au continent africain. Ces compensations doivent prendre la forme de subventions, non de prêts qui perpetueraient la dépendance financière. Cette distinction est cruciale : la justice climatique exige une redistribution des ressources, pas un cycle infini d’endettement des pays du Sud.
Mais la justice climatique pour l’Afrique va bien au-delà du financement. Elle exige l’arrêt immédiat de l’extractivisme, cette pratique systématique qui a permis aux pays du Nord d’exploiter les ressources du continent pendant des siècles. L’APCC demande la suspension de toutes les activités d’exploration et de production de combustibles fossiles. L’avenir énergétique de l’Afrique doit être alimenté par des systèmes d’énergie renouvelable gérés et possédés par les communautés locales et la société civile, servant en priorité les intérêts des populations africaines elles-mêmes, non des corporations multinationales.
Cette vision de la justice climatique rejette fermement les « fausses solutions » qui perpétuent les inégalités sous le prétexte de durabilité. L’APCC refuse le programme REDD+ (réduction des émissions liées à la déforestation), le commerce des droits d’émission de carbone, les politiques « zéro émission nette » et la géo-ingénierie. Ces mécanismes, bien que présentés comme progressistes par les pays riches, transforment simplement la nature en marchandise, permettant aux pollueurs du Nord de continuer à émettre tandis que l’Afrique vend ses forêts et ses écosystèmes. C’est une injustice climatique déguisée en solution.
La justice climatique exige également le consentement libre, préalable et éclairé (CLIP). Chaque communauté africaine doit avoir le droit légal et moral de rejeter les projets qui menacent ses terres, ses vies et sa culture. Cela signifie que la justice climatique ne peut pas être imposée d’en haut ; elle doit être construite par les peuples directement affectés par la crise climatique.
La réforme du financement climatique constitue un pilier central de la justice climatique selon l’APCC. Les fonds mondiaux—le Fonds vert pour le climat, le Fonds d’adaptation et le Fonds pour les pertes et dommages—doivent être dotés de ressources suffisantes et directement accessibles aux communautés les plus touchées par les changements climatiques. Or, actuellement, ces fonds sont contrôlés par des banques multilatérales qui imposent des conditions de prêt oppressives. La justice climatique exige que l’accès au financement climatique ne soit pas conditionné par des dettes additionnelles, mais garanti comme réparation pour l’injustice climatique historique.
La souveraineté alimentaire est aussi un enjeu de justice climatique. L’APCC exige que les gouvernements africains réforment les lois foncières pour les populations locales, donnent la priorité aux systèmes alimentaires indigènes et investissent au minimum 5 milliards de dollars par an dans l’agroécologie paysanne. Cette demande reconnaît que la justice climatique passe par le droit des peuples africains à se nourrir, à cultiver selon leurs traditions et à contrôler leurs ressources naturelles.
De plus, l’APCC demande l’arrêt immédiat du « colonialisme des déchets ». L’Afrique n’est pas la décharge du monde. Les gouvernements doivent adopter des politiques zéro déchet et refuser l’afflux de technologies obsolètes, de textiles et de déchets plastiques provenant des pays du Nord. C’est une question fondamentale de justice : pourquoi l’Afrique accueillerait-elle les déchets de la prospérité du Nord ?
La souveraineté énergétique africaine est aussi au cœur de cette vision de justice climatique. L’APCC demande une transition vers les énergies renouvelables menée par les populations elles-mêmes, au bénéfice direct des communautés locales, des femmes, des jeunes et des peuples autochtones. Cela signifie que le déploiement de l’énergie solaire, géothermique ou éolienne en Afrique ne doit pas être un nouvel outil d’exploitation au profit de compagnies étrangères, mais un vecteur d’autonomie et de prospérité pour les Africains.
Enfin, l’APCC exige la protection des réfugiés climatiques. Les gouvernements et organismes internationaux doivent fournir d’urgence des fonds pour l’adaptation et la résilience, garantissant que les populations puissent rester en sécurité dans leurs communautés ou se réinstaller dans la dignité. C’est la justice climatique dans sa dimension humaine : reconnaître que les premières victimes du changement climatique sont les peuples africains, et qu’ils ont droit à la sécurité, à la dignité et à l’autodétermination.
La Déclaration de l’APCC intervient alors que le monde se prépare pour la COP30 à Belém, au Brésil. Elle représente un défi moral et politique majeur pour les gouvernements africains et la communauté internationale. La justice climatique n’est pas négociable. Elle n’est pas un luxe ou une demande secondaire. C’est le fondement même de toute action climatique légitime. L’Afrique ne supplie plus ; elle demande justice. La question est maintenant si le monde écoutera.
Blondel Silenou
