La validation européenne du nucléaire et du gaz dans les investissements durables redessine les priorités de financement mondial. Pour les pays du sud du Sahara, cette décision soulève des questions cruciales sur le financement de leur transition énergétique et le risque de reconcentration des ressources vers des technologies coûteuses et centralisées.
Le 10 septembre 2025, le Tribunal de l’Union européenne a validé l’inclusion de l’énergie nucléaire et du gaz fossile, sous conditions, comme activités durables au titre de la taxonomie verte. Cette décision, qui confirme une orientation majeure de la politique énergétique européenne, porte des implications géopolitiques considérables pour les pays en développement, notamment ceux du sud du Sahara. Elle redéfinit les critères d’accès au financement climatique mondial et soulève des questions existentielles sur le type de transition énergétique qui sera financé dans les décennies à venir.
Pour l’Afrique subsaharienne, cette validation européenne constitue un tournant ambivalent. Le Tribunal a estimé que la production d’énergie nucléaire est associée à des émissions quasi nulles de gaz à effet de serre et que, faute de solutions renouvelables disponibles en continu à grande échelle, elle pouvait être retenue comme contribution substantielle à l’atténuation du changement climatique. Cet argument technologique, largement débattu en Europe, résonne différemment en Afrique, où le déploiement du nucléaire requiert une infrastructure, une expertise et des investissements capitalistiques que peu de pays subsahariens possèdent actuellement.
L’Afrique du Sud constitue l’exception notable : elle dispose d’une expérience nucléaire historique et d’une infrastructure énergétique évoluée. Pour ce pays, la validation de la taxonomie verte pourrait ouvrir des voies de financement pour le nucléaire. Cependant, pour la majorité des pays du sud du Sahara, cette décision risque de biaiser les investissements climatiques vers des technologies coûteuses et complexes, au détriment des solutions d’énergies renouvelables décentralisées qui correspondent davantage à leurs contextes géographiques et économiques.
Le gaz fossile a été jugé acceptable par le Tribunal à titre transitoire, sous conditions de réduction progressive des émissions et de sécurité d’approvisionnement. Cette légitimation du gaz comme énergie de transition crée un risque majeur pour les pays subsahariens : elle pourrait légitimer l’expansion de l’exploitation gazière en Afrique, particulièrement en Afrique de l’Ouest et en Afrique australe, au profit de conglomérats énergétiques internationaux plutôt que des populations locales. Le Nigeria, le Ghana, la Tanzanie et d’autres producteurs de gaz pourraient voir la taxonomie verte utilisée pour justifier de nouveaux investissements dans l’extraction gazière, créant des dépendances énergétiques et des engagements long terme contradictoires avec la neutralité climatique.
L’ironie de cette décision réside dans sa logique : le Tribunal a considéré que, faute de solutions renouvelables disponibles en continu à grande échelle, le nucléaire pouvait contribuer substantiellement à l’atténuation du changement climatique. Pourtant, le continent africain possède un potentiel de production d’énergies renouvelables inégalé : ressources solaires exceptionnelles, géothermie, hydroélectricité, énergies éoliennes. Le déploiement massif de ces technologies décentralisées pourrait répondre à l’impératif d’électrification des régions du sud du Sahara tout en évitant les risques géopolitiques et technologiques du nucléaire centralisé.
La taxonomie verte est un instrument de redirection des flux financiers mondiaux vers les investissements durables. Elle définit les critères permettant de déterminer quelles activités répondent aux objectifs climatiques et a pour objectif de rediriger les flux financiers vers des projets compatibles avec la neutralité climatique d’ici 2050. En validant le nucléaire et le gaz, l’Europe envoie un signal puissant aux investisseurs : des capital massifs seront mobilisés pour ces technologies, pas nécessairement pour les solutions renouvelables décentralisées qui conviendraient aux contextes africains.
Pour les pays du sud du Sahara, les conséquences pourraient être multiples. D’une part, les investisseurs internationaux, désormais confiants dans la classification « durable » du nucléaire et du gaz, pourraient réorienter les flux vers ces secteurs au détriment du solaire, de l’éolien et de l’hydroélectricité en Afrique. D’autre part, les gouvernements africains pourraient être incités à accepter des projets gaziers ou nucléaires complexes, détournés de trajectoires énergétiques plus adaptées à leurs réalités locales et à leurs capacités institutionnelles.
La question des droits humains se pose également avec acuité. Les projets gaziers et pétroliers en Afrique subsaharienne ont souvent été associés à des violations de droits environnementaux et sociaux. Une validation mondiale du gaz comme énergie de transition renforcerait l’attrait de ces projets auprès des investisseurs, potentiellement au détriment des communautés locales affectées par l’extraction, la pollution et l’accaparement des ressources.
Cette validation ouvre la voie à une mobilisation accrue des financements privés dans des projets nucléaires et gaziers, et ce signal pourrait orienter durablement la politique d’investissement mondiale. Pour l’Afrique subsaharienne, le défi consiste à affirmer son propre modèle énergétique : un qui privilégie les énergies renouvelables décentralisées, compatible avec les réalités géographiques, technologiques et institutionnelles du continent.
La décision de la CJUE ne reflète pas forcément les meilleures solutions pour le sud du Sahara. Elle représente plutôt une priorisation des intérêts énergétiques européens : le nucléaire comme technologie maîtrisée et le gaz comme transitoire pour les pays riches. Les pays subsahariens doivent clairement considérer cette validation comme un avertissement géopolitique, non comme une feuille de route à suivre. Ils doivent s’unir pour promouvoir des critères de durabilité qui reconnaissent et financent les solutions renouvelables décentralisées comme prioritaires, notamment l’énergie solaire, le géothermique et l’hydroélectricité à petite échelle, véritables vecteurs d’une transition énergétique équitable et durable pour l’Afrique.
Gerard ENONE NNOKO
